R

 

Il y avait deux autres mails. Un total de quatre de la part de chercheurs spécialisés dans le cancer, qui suivaient tous le message de présentation du Dr Aslan et disaient qu’ils adoreraient prendre Olive dans leur labo. Elle éprouva une telle joie que sa tête se mit à tourner.

— Oli, regarde qui je viens de croiser.

Olive se leva d’un bond. Malcolm était là, tenant la main d’Holden, et à deux pas derrière eux…

Adam. L’air fatigué, mais beau, et aussi grand dans la vraie vie qu’il l’avait été dans son esprit durant les dernières vingt-quatre heures. La regardant droit dans les yeux. Olive se rappela les paroles qu’il avait prononcées la veille au soir et sentit ses joues rougir, sa poitrine se serrer, son cœur bondir hors de son corps.

— Écoutez-moi un peu, commença Holden sans même dire

« bonjour » : tous les quatre… double rencard. Ce soir.

Adam l’ignora et s’approcha d’Olive.

— Comment vas-tu ? demanda-t-il avec douceur.

— Bien.

Pour la première fois depuis des jours, ce n’était pas un mensonge.

Adam était là. Et tous ces mails étaient dans sa boîte de réception.

— Et toi ?

— Bien, répondit-il avec un demi-sourire, et elle eut le curieux sentiment que tout comme elle, il ne mentait pas.

Son cœur battait encore plus vite.

— Pourquoi pas un chinois ? intervint Holden. Tout le monde aime le chinois ici ?

— Un chinois, ça me va, marmonna Malcolm, même s’il ne semblait pas enthousiasmé par l’idée du double rencard.

Sans doute parce qu’il ne voulait pas s’asseoir en face d’Adam le temps d’un repas et revivre le traumatisme de ses comités consultatifs.

— Olive ?

— Euh… j’aime bien le chinois.

— Parfait. Adam aussi, donc…

— Je ne sors pas dîner, annonça Adam.

Holden fronça les sourcils.

— Pourquoi ?

— J’ai mieux à faire.

— Comme quoi ? Olive vient, elle aussi.

— Laisse Olive tranquille. Elle est fatiguée, et nous sommes occupés.

— J’ai accès à ton calendrier Google, trouduc. Tu n’as rien de prévu. Si tu n’as pas envie de me voir, tu n’as qu’à le dire.

— Je n’ai pas envie de te voir.

— Petit con, va. Après la semaine qu’on vient de passer. Et pour mon anniversaire.

Adam recula légèrement.

— Quoi ? C’est pas ton anniversaire.

— Si.

— Ton anniversaire est le 10 avril.

— Ah ouais, vraiment ?

Adam ferma les yeux en se grattant le front.

— Holden, nous nous sommes parlé tous les jours durant les vingt-cinq dernières années, et j’ai assisté à au moins cinq de tes fêtes d’anniversaire à thème Power Rangers. La dernière était pour tes dix-sept ans.

Malcolm tenta de dissimuler son rire en toussant.

— Je connais la date de ton anniversaire.

— Tu t’es toujours planté, j’étais seulement trop gentil pour te le dire, rétorqua-t-il en donnant une tape sur l’épaule d’Adam. Bon, chinois pour célébrer la bénédiction de ma naissance ?

— Pourquoi pas thaï ? proposa Malcolm, s’adressant à Holden et ignorant Adam.

Holden gémit et commença à se plaindre du manque de larb digne de ce nom à Stanford, quelque chose qu’Olive aurait normalement trouvé intéressant à entendre, sauf que…

Adam la regardait de nouveau. Quelques centimètres au-dessus des têtes d’Holden et Malcolm, Adam la regardait avec un air mi-désolé, mi-agacé, et… très intime, vraiment. Quelque chose de familier qu’ils avaient partagé auparavant. Olive se sentit fondre et réprima un sourire.

Soudain, le dîner semblait une idée géniale.

Ça va être sympa, lui murmura-t-elle tandis qu’Holden et Malcolm étaient occupés à se disputer pour savoir s’ils ne devraient pas plutôt essayer ce nouveau resto qui proposait des hamburgers.

Ça va être une torture, murmura-t-il en retour en entrouvrant à peine les lèvres, l’air résigné, hautain et si merveilleusement Adam qu’Olive ne

put s’empêcher d’éclater de rire.

Holden et Malcolm cessèrent de se chamailler pour se tourner vers elle.

— Quoi ?

— Rien, répondit Olive.

Les commissures d’Adam se relevaient, elles aussi.

— Pourquoi tu te marres, Oli ?

Elle ouvrit la bouche pour faire diversion, mais Adam la devança.

— Bon. Nous allons venir.

Il disait « nous » comme si lui et Olive étaient un « nous », comme si ça n’avait jamais été pour de faux après tout, et elle sentit une boule se former dans sa gorge.

— Mais je suis excusé d’avance pour n’importe quelle sortie d’anniversaire l’an prochain. En fait, disons même pour les deux ans à venir. Et veto sur les hamburgers.

Holden leva un poing victorieux, puis fronça les sourcils.

— Pourquoi veto sur les hamburgers ?

— Parce que, répondit-il en regardant Olive dans les yeux, les hamburgers, ça a le goût de jus de chaussette.

 

— On devrait commencer par le plus urgent, dit Holden en mâchouillant les amuse-gueules gratuits, et Olive se raidit.

Elle n’était pas sûre de vouloir discuter du « problème Tom » avec Malcolm et Holden avant d’en parler en tête à tête avec Adam.

En l’occurrence, elle n’avait pas de quoi s’en faire.

— À savoir le fait que Malcolm et Adam se détestent.

À côté d’elle, Adam grimaça, confus. Malcolm, qui était assis en face d’Olive, se cacha le visage dans les mains et grogna.

— Je sais de source sûre, poursuivit Holden, sans se laisser démonter, qu’Adam a qualifié les expériences de Malcolm de « bâclées » et de

« mauvais usage de fonds de recherche » durant une réunion, et que Malcolm s’en est formalisé. Maintenant, Adam, j’ai expliqué à Malcolm que tu passais probablement une mauvaise journée – peut-être qu’un de tes étudiants s’était planté sur un participe passé dans un mail, ou que ta salade de roquette n’était pas assez bio. As-tu quelque chose à dire pour ta défense ?

— Euh…

La grimace d’Adam s’accentua, tout comme la consternation de Malcolm. Holden attendait patiemment une réponse, et Olive observait la scène, en se demandant si elle devrait sortir son téléphone pour filmer ce carnage.

— Je n’ai aucun souvenir de cette réunion. Même si ça ressemble à quelque chose que je pourrais dire.

— Super. Maintenant dis à Malcolm que ça n’avait rien personnel, histoire qu’on puisse tourner la page et manger du riz sauté.

— Oh mon Dieu, marmonna Malcolm. Holden, s’il te plaît.

— Je ne veux pas de riz sauté, protesta Adam.

— Tu n’as qu’à manger du bambou cru pendant que les gens normaux prennent du riz sauté. Mais pour l’heure, mon petit ami pense que le petit ami de sa BFF et mon propre BFF l’a dans le collimateur, et ça va à l’encontre de mon idéal du double rencard, donc s’il te plaît.

Adam cligna lentement des yeux.

— BFF ?

— Adam, insista Holden en pointant du doigt un Malcolm grimaçant.

Maintenant, s’il te plaît.

Adam soupira, mais il se tourna vers Malcolm.

— Quoi que j’aie dit ou fait, ça n’était pas personnel. On m’a fait savoir que je peux être inutilement hostile. Et inaccessible.

Olive n’eut pas l’occasion de voir la réaction de Malcolm. Parce qu’elle était trop occupée à observer Adam et son curieux mouvement de lèvres, celui qui devint presque un sourire quand il regarda Olive dans les yeux.

L’espace d’une seconde, la brève seconde où elle soutint son regard avant qu’il détourne les yeux, ils furent seuls au monde. Avec leur histoire improbable, leurs blagues stupides, la façon dont ils se taquinaient.

— Parfait, commenta Holden en applaudissant, exagérément fort. Des nems en entrée, ça vous va ?

C’était une bonne idée, ce dîner. Cette soirée, cette table, ce moment.

Assise à côté d’Adam et savourant le pétrichor qui s’élevait du coton gris de sa chemise à a suite de l’orage qui avait éclaté au moment où ils se glissaient à l’intérieur du restaurant. Il faudrait qu’ils parlent, plus tard, qu’ils aient une conversation sérieuse à propos de Tom et de tant d’autres choses. Mais pour l’instant, les choses étaient exactement comme elles avaient toujours été entre eux : c’était comme enfiler une robe qu’on avait adorée, celle qu’on dénichait au fond de son armoire, et la trouver toujours aussi confortable.

— Je veux des nems.

Elle jeta un coup d’œil à Adam. Ses cheveux commençaient à repousser, donc elle fit ce qui lui paraissait naturel : elle tendit la main et aplatit son épi.

— Laisse-moi deviner : tu détestes les nems, tout comme tu détestes tout ce qu’il y a de bon dans ce monde, lui dit-elle.

Il murmura « Petite maligne » à l’instant même où le serveur apportait leurs verres d’eau et posait les menus sur la table. Trois menus, pour être exact. Holden et Malcolm en prirent un chacun, et Olive et Adam échangèrent un regard amusé et attrapèrent le dernier pour le partager.

C’était l’idéal : il l’orienta de façon que les plats végétariens soient de son côté et que toutes sortes d’entrées frites soient du sien. C’était tellement inopiné qu’elle éclata de rire.

Adam posa le doigt sur la carte des boissons.

— Regarde cette abomination, chuchota-t-il.

Ses lèvres étaient tout près de son oreille… Son souffle chaud, intime et agréable, contrastait avec la climatisation qui tournait à fond.

Elle afficha un sourire radieux.

— Pas possible.

— Consternant.

— Génial, tu veux dire.

— Non.

— C’est mon nouveau restaurant préféré.

— Tu ne l’as même pas encore essayé.

— Ça va être épique.

— Ça va être atroce…

Quelqu’un toussa, leur rappelant qu’ils n’étaient pas seuls. Malcolm et Holden les dévisageaient – Malcolm avec un regard pénétrant, rusé, et Holden avec un sourire entendu.

— Pourquoi tout ce tapage ?

— Oh, commença Olive, ses joues s’échauffant légèrement. Pour rien.

C’est juste qu’ils ont un thé glacé à la citrouille.

Malcolm feignit un haut-le-cœur.

— Beurk, Oli. Dégueu.

— La ferme.

— Ça a l’air délicieux, rétorqua Holden en souriant, tout en se penchant vers Malcolm. On devrait en partager un.

— Pardon ?

Olive se retint de rire face à l’expression horrifiée de Malcolm.

— Ne lance pas Malcolm sur les boissons à la citrouille, dit-elle à Holden en poussant un soupir exagéré.

— Oh, merde.

Holden feignit la terreur.

— C’est du sérieux.

Malcolm laissa tomber son menu sur la table.

— Les trucs épicés à la citrouille sont les suppôts de Satan, les cavaliers de l’apocalypse, ça a le goût de cul… et pas dans le bon sens du terme.

À côté d’Olive, Adam acquiesçait lentement, clairement impressionné par la diatribe de Malcolm.

— Un seul latte épicé à la citrouille contient la même quantité de sucre que cinquante bonbecs… et pas la moindre trace de citrouille. Pas la peine de chercher.

Adam regardait Malcolm avec une certaine forme d’admiration. Holden croisa le regard d’Olive et lui glissa en douce :

— Nos petits amis ont tellement de choses en commun.

— Les épices à la citrouille, c’est pas anodin. C’est une véritable bombe au sucre radioactive, surpuissante, qui se glisse dans toutes sortes de produits et est responsable à elle seule de l’extinction des phoques moines des Caraïbes. Et toi, ajouta Malcolm en pointant Holden du doigt, tu es dans de sales draps.

— Quoi… pourquoi ?

— Je ne peux pas sortir avec quelqu’un qui ne respecte pas mon point de vue sur les épices à la citrouille.

— En même temps ce n’est pas un point de vue très respectable…

(Holden remarqua le regard noir de Malcolm et leva les mains.) Je n’en avais aucune idée, bébé.

— Tu aurais dû t’en douter.

Adam fit claquer sa langue, l’air amusé.

— Oui, Holden. Tu pourrais mieux faire.

Il s’enfonça dans sa chaise, et son épaule effleura celle d’Olive. Holden lui fit un doigt d’honneur.

— Adam connaît et respecte le point de vue d’Olive sur les hamburgers, et ils ne sont même pas…

Quoi que Malcolm s’apprêtât à dire, il eut le bon sens de s’interrompre.

— Enfin, si Adam est au courant, tu devrais l’être aussi en ce qui concerne les épices à la citrouille.

— Adam n’était-il pas un sale con, il y a douze secondes ?

— Comme la roue tourne, murmura Adam.

Olive tendit le bras pour le pincer, mais il l’arrêta en saisissant son poignet.

Maléfique, lui souffla-t-elle. Il se contenta de sourire, observant Malcolm et Holden avec un peu trop d’enthousiasme.

— Arrête ton char. Ce n’est même pas comparable, poursuivait Holden.

Olive et Adam sont ensemble depuis des années. Nous nous sommes rencontrés il y a moins d’une semaine.

— Non, le corrigea Malcolm, en levant un doigt.

Adam tenait toujours Olive par le poignet.

— Ils ont commencé à sortir ensemble, genre, un mois avant nous.

— Non, insista Holden. Adam craque pour elle depuis un bail. Il a sans doute étudié discrètement son régime alimentaire, compilé dix-sept bases de données et créé des algorithmes pour prédire ses préférences culinaires…

Olive éclata de rire.

— Mais non.

Elle but une gorgée d’eau, toujours le sourire aux lèvres.

— Nous venons juste de nous mettre ensemble. Au début de l’automne.

— Oui, mais vous vous connaissiez d’avant, rétorqua Holden en fronçant les sourcils. Vous vous êtes rencontrés l’année précédant ton entrée en doctorat, quand tu es venue passer ton entretien, et il se languit de toi depuis.

Olive secoua la tête en riant, se tournant vers Adam pour partager son hilarité. Sauf qu’Adam la regardait déjà et ne semblait pas amusé. Il semblait… autre chose. Inquiet peut-être, ou désolé, ou résigné. Paniqué ?

Et d’un seul coup, le restaurant devint silencieux. Le martèlement de la pluie sur les fenêtres, les discussions des gens, les entrechocs des couverts… tout disparut. Le sol sembla s’incliner, trembler légèrement, et l’air climatisé était un chouia trop froid. À un moment donné, Adam avait lâché son poignet.

Olive repensa à l’incident des toilettes. Aux yeux qui piquent et aux joues mouillées, à l’odeur de réactif et de peau masculine propre. À

l’immense silhouette sombre qui se tenait devant elle avec sa voix grave, rassurante et taquine. À la panique induite par le fait d’avoir vingt-trois ans, d’être seule et de n’avoir aucune idée de ce qu’elle devrait faire, d’où elle devrait aller, de comment faire le bon choix.

« Ma raison est-elle suffisamment bonne pour faire un doctorat ? »

« C’est la meilleure. »

D’un seul coup, tout lui avait semblé simple.

Il s’agissait bien d’Adam, en définitive. Olive avait raison.

Mais elle s’était trompée en pensant qu’il l’avait oubliée.

— Oui, dit-elle.

Elle ne souriait plus. Adam soutenait toujours son regard.

— J’imagine que c’est le cas.

CHAPITRE 22

HYPOTHÈSE : Face à un choix entre A (raconter un mensonge) et B

(dire la vérité), je finirai inévitablement par choisir…

Non. Pas cette fois.

 

Olive ne doutait pas que les histoires d’Holden étaient enjolivées et le résultat de plusieurs années de cours de théâtre, mais elle n’arrivait pas pour autant à s’empêcher de rire à gorge déployée.

— Et je suis réveillé par cette cascade qui déferle sur moi…

Adam leva les yeux au ciel.

— C’était une goutte.

— Et je me demande pourquoi il pleut à l’intérieur de la cabine, quand je me rends compte que ça vient de la couchette du dessus et qu’Adam, qui devait bien avoir treize ans à l’époque…

— Six ans. J’avais six ans, et toi sept.

— … avait fait pipi au lit, et que la pisse s’était infiltrée dans le matelas et me coulait dessus.

Olive plaqua ses mains sur sa bouche, n’arrivant pas tout à fait à cacher son hilarité – tout comme elle avait échoué quand Holden avait raconté qu’un chiot dalmatien avait mordu les fesses d’Adam, ou qu’il avait été élu « Le plus susceptible de faire pleurer les gens » dans son album de terminale.

Au moins, Adam ne semblait pas embarrassé, et loin d’être aussi contrarié qu’il l’avait été après qu’Holden avait mentionné qu’il se languissait d’elle. Ce qui expliquait… tellement de choses.

Tout, peut-être.

— Mec. Six ans.

Malcolm secoua la tête et s’essuya les yeux.

— J’étais malade.

— N’empêche. Ça paraît un peu vieux pour avoir un accident ?

Adam se contenta de dévisager Malcolm jusqu’à ce qu’il baisse les yeux.

— Euh, peut-être pas si vieux que ça après tout, marmonna-t-il.

Il y avait un grand bol de biscuits chinois près de la caisse. Olive le remarqua en sortant du restaurant, poussa un petit cri de joie, et plongea la main dedans pour pêcher quatre sachets en plastique. Elle en tendit un à Malcolm et Holden, et en donna un autre à Adam avec un sourire machiavélique.

— Tu détestes ces trucs, pas vrai ?

— Non, répondit-il en acceptant le biscuit. Je trouve seulement qu’ils ont goût de polystyrène.

— Ils ont sûrement les mêmes valeurs nutritionnelles, en plus, marmonna Malcolm tandis qu’ils sortaient dans la fraîcheur humide du début de soirée.

Curieusement, lui et Adam se trouvaient de plus en plus de points communs.

Il ne pleuvait plus, mais la rue était luisante à la lumière du lampadaire, une douce brise faisant bruisser les feuilles et dispersait des gouttes d’eau sur le sol. Olive emplit ses poumons d’air frais, ce qui était plutôt agréable après les quelques heures passées dans le restaurant. Elle déroula ses manches, effleurant par accident les abdos d’Adam. Elle lui sourit, faussement désolée ; il rougit et évita son regard.

— « Celui qui sait rire de lui-même n’est jamais à court de sujets de plaisanterie. »

Holden mangea un morceau du biscuit, clignant des yeux en regardant le message.

— C’est une critique ? s’enquit-il, regardant autour de lui, l’air indigné.

Ce biscuit vient-il juste de me critiquer ?

— Ça m’en a tout l’air, répondit Malcolm. Le mien dit : « Pourquoi ne pas t’accorder du bon temps au lieu d’attendre que quelqu’un d’autre le fasse ? » Je crois que mon biscuit vient de te critiquer aussi, bébé.

— C’est quoi le problème avec cette fournée ? s’offusqua Holden en pointant Adam et Olive du doigt. Que disent les vôtres ?

Olive ouvrait déjà le sien, en mâchouillant un coin pour extirper le morceau de papier. C’était très banal, et pourtant, son cœur manqua un battement.

— Le mien n’a rien d’extraordinaire, annonça-t-elle à l’attention d’Holden.

— Tu mens.

— Non.

— Que dit-il ?

— « Il n’est jamais trop tard pour dire la vérité. »

Elle haussa les épaules, puis se tourna pour jeter l’emballage. Au dernier moment, elle décida de conserver la bandelette de papier et de la glisser dans la poche arrière de son jean.

— Adam, ouvre le tien.

— Non.

— Allez.

— Je ne vais pas avaler un morceau de carton parce qu’il a blessé ton ego.

— T’es un ami de merde.

— Selon l’industrie des biscuits chinois, tu es un petit ami merdique, alors…

— Donne-moi ça, intervint Olive, arrachant le biscuit de la main d’Adam. Je vais le manger. Et le lire.

Le parking était complètement vide, en dehors des voitures d’Adam et de Malcolm. Holden était venu de l’aéroport avec Adam, mais lui et Malcolm prévoyaient de passer la nuit chez Holden pour promener Fleming, son chien.

— Adam te ramène, pas vrai, Oli ?

— Inutile. La maison est à moins de dix minutes à pied.

— Mais ta valise ?

— Elle n’est pas lourde, et je…

Elle s’arrêta brutalement, se mordit la lèvre une seconde en réfléchissant aux options envisageables, et afficha un sourire, d’abord timidement, puis consciemment.

— En fait, Adam va me raccompagner à pied. Pas vrai ?

Il garda le silence, insondable pendant un moment. Puis il dit calmement « Bien sûr », fourra ses clés dans la poche de son jean, et glissa la bandoulière du sac en toile d’Olive sur son épaule.

— Où tu habites ? demanda-t-il quand Holden ne fut plus à portée.

Elle le pointa du doigt en silence.

— Tu es sûr que tu veux porter mon sac ? J’ai entendu dire que c’est facile de se faire mal au dos, passé un certain âge.

Il la foudroya du regard, et Olive éclata de rire, marchant en cadence avec lui tandis qu’ils sortaient du parking. La rue était silencieuse, en dehors du son des semelles de ses Converse qui battaient le pavé mouillé et de la voiture de Malcolm qui passa près d’eux quelques secondes plus tard.

— Eh, lança Holden depuis la fenêtre passager. Que disait le biscuit d’Adam ?

— Hmm, reprit Olive, faisant exprès de garder le mystère du malheureux bout de papier. Pas grand-chose. « Holden Rodrigues, maître de conférences, est un naze. »

Malcolm accéléra à l’instant où Holden lui faisait un doigt d’honneur, ce qui la fit rire aux éclats.

— Que dit-il en réalité ? s’enquit Adam quand ils se retrouvèrent enfin seuls.

Olive lui tendit le papier froissé et garda le silence tandis qu’il se tournait pour le lire sous le lampadaire. Elle ne fut pas surprise quand elle vit un muscle de sa mâchoire se contracter, ni quand il glissa le papier dans la poche de son jean. Elle savait ce qu’il disait, après tout.

« Tu peux tomber amoureux : quelqu’un te passera la corde au cou. »

— Est-ce qu’on peut parler de Tom ? demanda-t-elle en évitant une flaque. On n’est pas obligés, mais si on pouvait…

— On peut. On devrait.

Il déglutit péniblement.

— Harvard va le renvoyer, bien entendu. D’autres mesures disciplinaires sont encore en cours – il y a eu plusieurs réunions jusque tard hier soir, ajouta-t-il en lui jetant un coup d’œil rapide. C’est pour ça que je ne t’ai pas appelée plus tôt. Le coordinateur devrait te contacter bientôt.

Bien.

— Qu’en est-il de ta bourse ?

Sa mâchoire se crispa.

— Je ne sais pas. Je trouverai quelque chose… ou pas. Ça ne me travaille pas spécialement pour l’instant.

Ça la surprit. Et finalement non, pas quand elle comprit que les implications professionnelles de la trahison de Tom n’avaient pas pu le blesser aussi profondément que celles sur sa vie personnelle.

— Je suis désolée, Adam. Je sais que c’était ton ami…

— Il ne l’était pas.

Adam s’arrêta brutalement au milieu de la rue. Il se tourna vers elle avec une lueur dans ses yeux d’un marron clair profond.

— Je n’en avais aucune idée, Olive. Je pensais que je le connaissais, mais…

Sa pomme d’Adam sursauta de nouveau.

— Je n’aurais jamais dû lui faire confiance à ton sujet. Je suis désolé.

Il l’avait dit – « à ton sujet » – comme si Olive était quelque chose de spécial, précieux d’une manière unique à ses yeux. Son trésor le plus cher.

Ça lui donnait envie de frissonner, de rire, et de pleurer en même temps. Ça la rendait heureuse et confuse.

— J’avais… J’avais peur que tu sois en colère contre moi. D’avoir tout gâché. Ta relation avec Tom, et peut-être… peut-être que tu ne pourras plus déménager à Boston.

Il secoua la tête.

— Je m’en fiche. Tu ne peux pas savoir à quel point.

Il soutint son regard un long moment. Mais il n’ajouta pas un mot, donc Olive hocha la tête, se retourna et reprit son chemin.

— Je crois que j’ai trouvé un autre labo. Pour terminer mes études. Plus près, donc je n’aurai pas à déménager l’an prochain.

Elle mit ses cheveux derrière son oreille et lui sourit. Il y avait quelque chose d’intrinsèquement plaisant dans le fait de l’avoir à côté d’elle, une sensation physique indéniable. Elle ressentait à un niveau primaire, viscéral, le bonheur étourdissant qui accompagnait toujours sa présence. Soudain, Tom était la dernière chose dont elle voulait parler avec Adam.

— Le dîner était sympa. Et tu avais raison, au fait.

— Au sujet de la gadoue à la citrouille ?

— Non, ça, c’était génial. Au sujet d’Holden. Il est vraiment insupportable.

— On s’y fait, au bout d’une dizaine d’années.

— Ah oui ?

— Non. Pas vraiment.

— Pauvre Holden, reprit-elle en laissant échapper un petit rire. Tu n’étais pas le seul qui s’en souvenait, au fait.

Il lui jeta un coup d’œil.

— Qui se souvenait de quoi ?

— De notre rencontre. Celle dans les toilettes, quand je suis venue pour l’entretien.

Olive eut l’impression qu’il faillit trébucher. Ou peut-être pas. Mais quand même, il y avait une pointe d’incertitude dans la profonde inspiration qu’il prit ensuite.

Tu t’en souvenais vraiment ?

— Oui. Ça m’a seulement pris des lustres pour me rendre compte que c’était toi. Pourquoi tu n’as rien dit ?

Elle était tellement curieuse de savoir ce qui s’était passé dans la tête d’Adam durant les derniers jours, semaines, années. Elle commençait à le comprendre un peu, mais certains trucs… elle aurait besoin qu’il les clarifie.

— Parce que tu t’es présentée comme si on ne s’était jamais rencontrés.

Elle crut le voir rougir légèrement. Peut-être pas. Peut-être que c’était impossible à déterminer, sous un ciel sans étoiles et de faibles lumières jaunâtres.

— Et je… Je pensais à toi. Depuis des années. Et je ne voulais pas…

Elle ne pouvait qu’imaginer. Ils s’étaient croisés dans les couloirs, et s’étaient rendus à d’innombrables colloques du département ou des séminaires ensemble. Elle n’y avait jamais pensé à l’époque, mais à présent… à présent elle se demandait si lui y avait pensé.

« Ça fait des années qu’il parle de cette fille géniale, mais ça l’inquiétait d’être dans le même département », avait dit Holden.

Et Olive en avait tiré tellement de conclusions. Elle s’était tellement trompée.

— Tu n’avais pas besoin de mentir, tu sais, dit-elle, sans l’accuser.

Il ajusta la sangle de son sac sur son épaule.

— Je ne l’ai pas fait.

— Si, en quelque sorte. Par omission.

— C’est vrai. Tu es…

Il serra les lèvres.

Tu es fâchée ?

— Non, pas vraiment. C’est pas si grave comme mensonge.

— Ah non ?

Elle se mordilla l’ongle du pouce pendant un moment.

— J’ai raconté tellement pire. Et je n’ai jamais évoqué notre rencontre, moi non plus, même quand j’ai fait le lien.

— N’empêche, si tu ressens…

— Je ne suis pas fâchée, trancha-t-elle, doucement mais sûrement.

Elle leva les yeux vers lui, espérant qu’il comprenne. Essayant de déterminer comment le lui dire. Comment le lui montrer.

— Je suis… plein d’autres choses, reprit-elle en souriant. Contente, par exemple. Que tu te sois souvenu de moi, de ce jour en particulier.

— Tu…

Un blanc.

— Tu es tout à fait mémorable.

— Ah non. Je ne le suis pas, vraiment. Je n’étais personne – une étudiante de plus au sein d’une nouvelle promo.

Elle poussa un grognement et baissa les yeux sur ses pieds. Elle devait marcher tellement plus vite pour tenir son rythme.

— J’ai détesté ma première année. C’était tellement stressant.

Il lui jeta un regard surpris.

— Tu te souviens de ton premier colloque ?

— Oui. Pourquoi ?

— Ton argumentaire éclair… Tu l’avais qualifié de vaisseau spatial. Tu avais même inséré une image de La Nouvelle Génération dans tes diapos.

— Oh, oui. J’ai fait ça, confirma-t-elle avec un petit rire. J’ignorais que tu étais fan de Star Trek.

— J’ai eu une phase. Et le pique-nique de cette année, quand il a plu. Tu jouais à chat avec les enfants de quelqu’un depuis des heures. Ils t’adoraient… Ils ont dû physiquement t’arracher les plus jeunes pour les faire entrer dans la voiture.

— Les enfants du Dr Moss.

Elle le regarda curieusement. Une brise légère se leva et lui ébouriffa les cheveux, mais il ne semblait pas s’en préoccuper.

— Je ne pensais pas que tu aimais les enfants. Plutôt le contraire, à vrai dire.

Il parut surpris.

— Je n’aime pas les gens de vingt-cinq ans qui se comportent comme des gamins. Ça ne me gêne pas s’ils ont effectivement trois ans.

Olive sourit.

— Adam, le fait que tu savais qui j’étais… Est-ce que ça a joué dans ta décision de faire semblant de sortir avec moi ?

Environ une dizaine d’expressions défilèrent sur son visage tandis qu’il cherchait une réponse, et elle ne parvient à en déchiffrer aucune.

Je voulais t’aider, Olive.

— Je sais. Je le crois, ajouta-t-elle en frottant ses doigts contre sa bouche. Mais c’était tout ?

Il pressa ses lèvres l’une contre l’autre. Soupira. Puis ferma les yeux, et l’espace d’un instant, donna l’impression qu’on lui arrachait les dents et l’âme en même temps. Puis, sur un ton résigné, il répondit : « Non. »

— Non, répéta-t-elle, pensive. C’est chez moi, au fait.

Elle pointa du doigt le grand bâtiment en briques au coin de la rue.

— D’accord, reprit Adam en balayant les environs du regard. Tu veux que je monte ta valise ?

— Peut-être après. Il faut que je te dise quelque chose. Avant.

— Bien sûr.

Il s’arrêta devant elle, et elle leva les yeux vers lui, sur les traits de son beau visage familier. Seule une brise fraîche les séparait, et la distance qu’Adam avait jugé bon de conserver. Sa tête de mule de faux petit ami.

Merveilleusement, parfaitement inimitable. Délicieusement unique en son genre. Olive sentit son cœur déborder.

Elle prit une profonde inspiration.

— Le truc, Adam… C’est que j’ai été bête. Et j’avais tort.

Elle joua nerveusement avec une mèche de ses cheveux, puis laissa sa main tomber et… d’accord. D’accord. Elle allait lui dire. Elle allait le faire.

Immédiatement.

— C’est comme… C’est comme le test statistique d’une hypothèse. Une erreur de type I. C’est effrayant, n’est-ce pas ?

Il fronça les sourcils.

— Un faux positif, insista-t-elle. Croire que quelque chose se passe alors que non.

— Je sais ce qu’est une erreur de type I…

— Oui, bien sûr. Seulement… durant les dernières semaines, j’étais pétrifiée à l’idée que je pouvais mal interpréter une situation. Que je pouvais me convaincre de quelque chose qui n’existait pas. Voir quelque chose qui n’était pas là parce que je voulais le voir. Le pire cauchemar d’un scientifique, exact ?

— Exact, acquiesça-t-il, l’air encore plus perplexe. C’est pour ça que dans tes analyses, tu as posé un niveau d’exigence qui est…

Mais le truc, c’est qu’une erreur de type II, c’est pas bon non plus.

Elle plongea son regard dans le sien, animée par un sentiment d’urgence. Elle était terrifiée – tellement terrifiée par ce qu’elle s’apprêtait à dire. Mais aussi euphorique qu’il l’apprenne enfin. Déterminée à le dire haut et fort.

— Oui, acquiesça-t-il lentement, confus. Les faux négatifs, c’est mauvais aussi.

— C’est le truc avec la science. On nous entraîne à croire que les faux positifs sont mauvais. Mais les faux négatifs sont tout aussi terrifiants, expliqua-t-elle, déglutissant à grand-peine. Ne pas être capable de voir quelque chose, même si c’est juste sous ton nez. Te rendre volontairement aveugle, justement parce que tu as peur d’en voir trop.

— Es-tu en train de dire que l’enseignement des statistiques est inadapté ?

Elle se mit à rire, puis rougit tout à coup, en dépit de la fraîcheur de la nuit. Ses yeux commençaient à picoter.

— Peut-être. Mais aussi… je crois que c’est moi qui ai été inadaptée. Et je ne veux pas l’être, plus maintenant.

— Olive.

Il fit un pas, de quelques centimètres à peine. Pas assez pour envahir son espace, mais suffisamment pour qu’elle sente sa chaleur.

— Ça va ?

— Il y a eu… Tellement de choses se sont passées, avant même que je te rencontre, et je crois qu’elles m’ont un peu déboussolée. J’ai vécu principalement dans la peur d’être seule, et… Je t’en parlerai, si tu veux.

D’abord, je dois comprendre toute seule, pourquoi le fait de me protéger derrière un tissu de mensonges semblait une meilleure idée que d’admettre une once de vérité. Mais je crois…

Elle prit une profonde inspiration, tremblante. Elle sentit une larme, une seule et unique larme couler le long de sa joue. Adam la repéra et murmura son prénom.

— Je crois que quelque part en route j’ai oublié ce que j’étais. Je me suis oubliée.

Ce fut elle qui approcha d’un pas. Elle, qui posa la main sur l’ourlet de sa chemise, qui tira doucement dessus et s’y accrocha, qui se mit à le toucher, pleurant et souriant en même temps.

— Il y a deux choses que je tiens à te dire, Adam.

— Qu’est-ce que je peux…

— S’il te plaît. Laisse-moi seulement parler.

Il n’était pas très doué en la matière. Pour rester planté là sans rien faire tandis que ses yeux débordaient de plus en plus. Elle voyait bien qu’il se sentait inutile, les bras ballants, et elle… elle l’aimait encore pour ça. À

cause de sa façon de la regarder, comme si elle incarnait le début et la fin de la moindre de ses pensées.

— La première chose, c’est que je t’ai menti. Et mon mensonge n’était pas seulement par omission.

— Olive…

— C’était un vrai mensonge. Un mensonge débile. Je t’ai laissé… non, je t’ai fait croire que j’avais des sentiments pour quelqu’un d’autre, alors qu’en vérité… je n’en avais pas. Je n’en ai jamais eu.

Il leva la main pour lui caresser la joue.

— Qu’est-ce que tu…

— Mais ce n’est pas très important.

— Olive.

Il l’attira contre lui, pressant ses lèvres sur son front.

— Ça n’a pas d’importance. Quelle que soit la raison pour laquelle tu pleures, je vais tout arranger. Je ferai les choses bien. Je…

— Adam, le coupa-t-elle avec un sourire. Ce n’est pas important, parce que la deuxième chose, c’est ça l’important.

Ils étaient tellement proches désormais. Elle pouvait sentir son parfum et sa chaleur, ses mains qui lui caressaient le visage, lui séchaient les joues.

— Chérie, murmura-t-il. Quelle est cette deuxième chose ?

Elle pleurait toujours, mais elle n’avait jamais été aussi heureuse. Alors elle le dit, sans doute avec le pire accent qu’il ait jamais entendu.

— Ik hou van jou, Adam.

ÉPILOGUE

CONCLUSIONS : Les analyses minutieuses des données collectées, rendant compte des variables potentielles, des erreurs statistiques et des biais expérimentaux, montrent que, quand je tombe amoureuse… les choses ne tournent pas si mal que ça, tout compte fait.

 

Dix mois plus tard

— Là. Tu te tenais juste là.

— Vraiment ?

Il la taquinait. Un peu. Cette expression faussement accablée était devenue la préférée d’Olive durant l’année passée.

— Un peu plus près de la fontaine à eau. Parfait.

Elle recula d’un pas pour admirer son œuvre, puis elle lui fit un clin d’œil tout en sortant son téléphone pour prendre une photo. Elle envisagea brièvement de la mettre en remplacement de son fond d’écran actuel – un selfie d’eux deux à Joshua Tree quelques semaines plus tôt, Adam plissant les yeux face au soleil et Olive l’embrassant sur la joue – mais se ravisa.

Leur été avait été rempli de randonnées, de délicieuses glaces, et de baisers au crépuscule sur le balcon d’Adam. Ils avaient ri, partagé des anecdotes inédites en regardant les étoiles, tellement plus brillantes que celles qu’Olive avait accrochées un jour au plafond de sa chambre. Elle allait commencer à travailler dans un labo à Berkeley une semaine plus tard, ce qui impliquait un emploi du temps plus chargé et plus stressant, et de faire un peu la navette. Et pourtant, elle était impatiente.

— Reste là, ordonna-t-elle. Aie l’air hostile et inaccessible. Et dis

« citrouille ».

Il leva les yeux au ciel.

— Quel est ton plan, si quelqu’un débarque ?

Olive balaya le bâtiment de biologie du regard. Le couloir était silencieux et désert, et le faible éclairage de fin de journée donnait un éclat

presque bleu aux cheveux d’Adam. Il était tard, c’était l’été et le début du week-end : personne ne passerait par là. Et même si c’était le cas, Olive Smith et Adam Carlsen n’étaient plus un scoop.

— Comme qui ?

— Anh pourrait arriver. Pour t’aider à recréer la magie.

— Je suis quasiment sûre qu’elle est de sortie avec Jeremy.

— Jeremy ? Le type dont tu es amoureuse ?

Olive lui tira la langue et baissa les yeux sur son téléphone. Heureuse.

Elle était tellement heureuse, et elle ne savait même pas pourquoi. Sauf que si, elle le savait.

— Bon. Encore une minute.

Tu ne peux pas connaître l’heure exacte, fit remarquer Adam d’un ton patient et indulgent. Pas à la minute près.

— Faux. J’ai fait un western blot cette nuit-là. J’ai consulté mes journaux d’événements de labo, et j’ai retrouvé l’heure et l’endroit grâce aux barres d’erreur. Je suis une chercheuse rigoureuse.

— Hmm, reprit Adam en croisant les bras. Et comment a tourné cette analyse ?

— Ce n’est pas le propos, répondit-elle en affichant un sourire rayonnant. Qu’est-ce que tu faisais ici, au fait ?

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Il y a un an. Pourquoi tu te promenais dans le département en pleine nuit ?

— Je ne sais plus. Peut-être que j’avais un truc à rendre. Ou peut-être que je rentrais chez moi.

Il haussa les épaules, et inspecta le couloir jusqu’à ce que son regard se pose sur la fontaine à eau.

— Peut-être que j’avais soif.

— Peut-être, concéda-t-elle en approchant d’un pas. Peut-être que tu espérais secrètement un baiser.

Il la regarda d’un air amusé.

— Peut-être.

Elle fit un pas de plus, puis un autre, et encore un autre. Ensuite, son alarme sonna, une fois, à l’instant même où elle arrivait devant lui. Une nouvelle intrusion dans son espace personnel. Mais cette fois, quand elle se mit sur la pointe des pieds, quand elle passa les bras autour de son cou, Adam l’attira contre lui.

Cela faisait un an. Un an jour pour jour. Et entre-temps, son corps lui était devenu tellement familier qu’elle connaissait la carrure de ses épaules, le picotement de sa barbe de trois jours, le parfum de sa peau, tout ça par cœur ; et elle arrivait à percevoir le sourire dans ses yeux.

Olive se pendit à son cou, puis se hissa au niveau de son oreille. Elle murmura doucement contre sa peau :

— Je peux vous embrasser, Docteur Carlsen ?

NOTES DE L’AUTRICE

J’écris des histoires qui se jouent dans le monde universitaire parce que je ne connais rien d’autre. C’est un environnement qui peut être impénétrable, aliénant et enfermant. Durant les dix dernières années, j’ai eu d’excellent(es) mentors qui me soutenaient constamment, mais je pourrais nommer des dizaines de situations dans lesquelles j’ai eu l’impression d’être une ratée qui avançait péniblement, un faux pas après l’autre. Mais comme le savent tous ceux qui sont passés par là, c’est le propre de l’université : un environnement stressant, oppressant et compétitif. Le monde universitaire a sa propre façon de briser l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, d’épuiser les gens et de leur faire oublier qu’ils valent bien plus que leur nombre de publications ou les bourses qu’ils parviennent à décrocher.

Prendre la chose que j’aime le plus (écrire des histoires d’amour) et planter un décor universitaire s’est avéré étonnamment thérapeutique. Mes expériences n’ont pas été les mêmes que celles d’Olive (pas de faux rencards pour moi, hélas), mais j’ai quand même réussi à déverser bon nombre de mes frustrations, de mes joies et de mes déceptions dans ses aventures. Tout comme Olive, durant ces années, je me suis sentie seule, déterminée, impuissante, effrayée, heureuse, prise au piège, incompétente, incomprise, enthousiaste. Écrire ce livre m’a donné l’occasion de transformer ces expériences en quelque chose d’humoristique, voire de complaisant, et de prendre conscience que je pouvais relativiser mes propres mésaventures – ou même en rire ! Pour cette raison – et j’ai conscience que je ne devrais sans doute pas le dire – ce livre signifie autant à mes yeux que mon doctorat.

Bon d’accord – c’est un mensonge. Il signifie miiille fois plus.

Pour ceux dont ce n’est pas le domaine de compétence, quelques mots sur un sujet qui occupe une bonne partie du livre : le Titre IX est une loi fédérale américaine qui interdit toute forme de discrimination sexuelle dans les institutions qui bénéficient d’un financement gouvernemental (c’est-à-

dire la plupart des universités américaines). Elle contraint légalement les facultés à réagir et remédier à tout écart de conduite ; d’un environnement de travail hostile aux cas de harcèlement ou d’agression. Les universités couvertes ont des référents attitrés, dont le travail est de gérer les plaintes et les violations et d’informer la communauté d’une institution de ses droits.

Le Titre IX a été et est encore à ce jour primordial pour garantir une égalité d’accès à l’éducation et protéger les étudiants et les employés contre toute discrimination basée sur le sexe.

Enfin, les femmes qui font partie des organisations qu’Anh mentionne dans le livre sont des personnages de fiction, mais la plupart des universités abritent des organisations similaires. Pour trouver de vraies ressources et soutenir les femmes des départements de science, technologie, ingénierie et mathématiques (STEM), visitez le site awis.org. Pour des ressources spécifiques aux femmes noires, autochtones et de couleur, visitez le site sswoc.org.

REMERCIEMENTS

D’abord, permettez-moi de dire asgfgsfasdgfadg. Je n’arrive pas à croire que ce livre existe. Sincèrement, afgisdfafksjfadg.

Ensuite, permettez-moi d’aller plus loin : ce livre n’existerait pas si deux cents personnes environ n’avaient pas passé les deux dernières années à me tenir la main. *Générique de fin* Dans un ordre très désorganisé, je dois remercier : Thao Le, ma merveilleuse agente (ton message a changé ma vie, pour le meilleur) ; Sarah Blumenstock, ma fantastique éditrice (qui n’est pas ce genre d’éditrice) ; Rebecca et Alannah, mes toutes premières lectrices (et bravo à Alannah pour le titre !) ; mes diablotins d’être délicieusement diaboliques et de toujours prendre la défense du couple ; Daddy Lucy et Jen (merci pour toutes ces lectures et ce temps infini à me tenir la main), Claire, Court, Julie, Katie, Kat, Kelly, Margaret, et ma femme, Sabine (ALIMONE !) (sans oublier Jess, Shep et Trix, mes diablotins honoraires).

Les filles de My Words Are Hard, pour leur soutien à la moindre plainte : Celia, Kate, Sarah et Victoria. Les membres de mon équipe qui ont cru en moi dès le départ : Court, Dani, Christy, Kate, Mar, Marie et Rachelle ; Caitie d’avoir été la première personne à me faire sentir que je pouvais parler de tout ça ; Margo Lip-Schultz et Jennie Connie Conway, pour leurs précieux retours sur les premiers jets ; Frankie, pour les coups de pouce à point nommé ; Psi, pour m’avoir inspirée avec sa belle écriture ; le groupe d’écriture The Berkeletes ; Sharon Ibbotson, pour ses conseils éditoriaux inestimables et ses encouragements ; Stephanie, Jordan, Lindsey Merril et Kat pour avoir lu mon manuscrit et m’avoir aidée à l’améliorer ; Lil-ith pour ses œuvres d’art époustouflantes et sa couverture géniale, ainsi que l’équipe de Penguin Creative ; Bridget O’Toole et Jessica Brock pour m’avoir convaincue que des gens pourraient avoir envie de lire ce livre ; tout le monde à Berkeley qui m’a aidée à donner forme à ce manuscrit en coulisses ; Rian Johnson, pour avoir fait La Chose qui m’a donné l’inspiration pour accomplir Toutes Ces Choses.

En réalité, je ne me suis jamais imaginée écrire un jour autre chose que des articles scientifiques. Je ne l’aurais probablement jamais fait sans les auteurs de fanfiction qui ont posté des écrits géniaux en ligne et m’ont encouragée dans mes débuts. Et je n’aurais certainement pas eu le cran de commencer à écrire de la fiction sans le soutien, le réconfort, les encouragements et les critiques constructives des communautés de fans de Star Trek et Star Wars/Reylo. À tous ceux qui ont laissé un commentaire ou un mot d’encouragement sur mes histoires, qui ont relayé mon travail sur les réseaux sociaux, qui m’ont contactée par message, qui ont dessiné pour moi ou dressé une planche de tendances, qui m’ont encouragée, qui ont pris le temps de lire quelque chose que j’ai écrit : merci. Vraiment, merci infiniment. Je vous dois beaucoup.

Enfin et – soyons honnêtes – surtout : merci du fond du cœur à Stefan, pour tout son amour et sa patience. Tu n’as pas intérêt à t’en vanter, sale hipster prétentieux.

Originaire d’Italie, Ali Hazelwood a vécu au Japon et en Allemagne avant de s’installer aux États-Unis pour poursuivre un doctorat en neurosciences.

Elle est ensuite devenue professeure, et la perspective de se voir confier l’enseignement de jeunes esprits la terrifie. Quand Ali n’est pas au travail, elle aime faire de la course à pied ou du crochet et regarder des films de science-fiction avec son mari et leurs deux chats, qui règnent en maîtres sur leur foyer.

Hauteville est un label des éditions Bragelonne

 

 

Titre original : The Love Hypothesis

 

Publié avec l’accord de Berkley, un label de Penguin Publishing Group, une division de Penguin Random House LLC.

 

Copyright © Ali Hazelwood 2021

Tous droits réservés.

 

© Bragelonne 2022, pour la traduction française

 

Illustrations de couverture : © Lilithsaur

 

L’œuvre présente sur le fichier que vous venez d’acquérir est protégée par le droit d’auteur. Toute copie ou utilisation autre que personnelle constituera une contrefaçon et sera susceptible d’entraîner des poursuites civiles et pénales.

 

ISBN : 978-2-38122-260-8

 

Bragelonne – Hauteville

60-62, rue d’Hauteville – 75010 Paris

E-mail : info@editions-hauteville.fr

Site Internet : www.editions-hauteville.fr