Discours inaugural
Elle était bouche bée.
— Oh mon Dieu.
Elle le dévisagea, les yeux écarquillés, et… Oh Seigneur. Au moins, il avait l’élégance d’avoir l’air penaud.
— Comment avez-vous pu ne pas me dire que vous alliez prononcer le discours d’inauguration ?
Adam se gratta la mâchoire, visiblement mal à l’aise.
— Je n’y ai pas pensé.
— Oh mon Dieu, répéta-t-elle.
Pour être honnête, la faute lui revenait. Le nom du conférencier inaugural était probablement inscrit en grosses lettres sur le programme, et sur tous les supports promotionnels, sans compter l’application de la conférence et les mails. Olive avait vraiment dû avoir la tête dans le cul pour ne pas le remarquer.
— Adam.
Elle entreprit de se frotter les yeux, mais se ravisa. Maudit maquillage.
— Je ne peux pas faire semblant de sortir avec le premier conférencier de la SBD.
— Eh bien, techniquement, il y a trois premiers conférenciers, et les deux autres sont des femmes mariées dans la cinquantaine qui vivent en
Olive croisa les bras et le regarda jusqu’à ce qu’il se taise. Elle ne put s’empêcher d’éclater de rire.
— Mais on n’en a jamais parlé !
— Ce n’est pas une affaire d’État, répondit-il en haussant les épaules. Je doute fort d’avoir été leur premier choix.
— C’est ça.
Bien sûr. Parce qu’il existait une personne qui refuserait de prononcer le discours inaugural de la SBD. Elle pencha la tête.
— Vous avez dû me trouver ridicule, quand j’ai commencé à me plaindre de mon intervention de dix minutes à laquelle assisteront quatorze personnes et demie ?
— Pas du tout. Votre réaction était compréhensible, ajouta-t-il avant de réfléchir un instant. Mais je vous trouve ridicule parfois, surtout quand je vous vois mettre du ketchup et du fromage frais sur des bagels.
— Ça se marie super bien.
Il parut offensé.
— Quand intervenez-vous au cours de la session ? Je peux peut-être venir quand même.
— Non. Je suis pile poil au milieu.
Elle fit un geste de dérision.
— C’est pas grave, vraiment.
Et c’était le cas.
— Je vais devoir m’enregistrer avec mon iPhone, de toute manière, ajouta-t-elle en levant les yeux au ciel. Pour le Dr Aslan. Elle ne pouvait pas venir, mais elle a insisté pour assister à ma première intervention. Je pourrai vous l’envoyer, si vous aimez les bégaiements et les grands moments de solitude.
— J’aimerais bien.
Olive rougit et changea de sujet.
— C’est pour ça que vous avez une chambre pendant toute la durée de la conférence même si vous ne restez pas ? Parce que vous êtes un grand ponte ?
Il fronça les sourcils.
— Je n’en suis pas un.
— Puis-je vous appeler « grand ponte » à partir de maintenant ?
Il soupira puis il mit dans sa poche la clé USB qu’elle avait vue plus tôt sur la table de chevet.
— Je dois apporter mon Powerpoint au rez-de-chaussée, petite maligne.
— D’accord.
Il pouvait partir. Tout allait bien. Parfaitement bien. Olive refusait de laisser son sourire s’affadir.
— J’imagine que je vous verrai peut-être après mon intervention, dans ce cas ?
— Bien sûr.
— Et après la vôtre. Bonne chance. Et félicitations. C’est un tel honneur !
Adam avait l’air ailleurs, cela dit. Il s’attarda à la porte, la main posée sur la poignée, puis se retourna. Il soutient quelques instants son regard avant de lui dire :
— Ne soyez pas nerveuse, d’accord ?
Elle pinça les lèvres et hocha la tête.
— Je ferai simplement ce que le Dr Aslan dit toujours.
— C’est-à-dire ?
— Me comporter avec l’assurance d’un homme blanc médiocre.
Il afficha un grand sourire, et… elles apparurent alors. Les époustouflantes fossettes.
— Tout va bien se passer, Olive, ajouta-t-il avec un sourire plus doux.
Et dans le cas contraire, au moins ce sera terminé.
Quelques minutes plus tard, alors qu’elle était assise sur son lit en train de regarder fixement l’horizon de Boston tout en grignotant son déjeuner, Olive s’aperçut que la barre protéinée était enrobée de chocolat.
Elle vérifia qu’elle se trouvait dans la bonne salle pour la troisième fois
– rien de tel que de parler du cancer du pancréas devant une foule qui s’attendait à une présentation de l’appareil de Golgi pour faire sensation –
et sentit une main sur son épaule. Elle se retourna d’un bond, constata à qui elle appartenait, et sourit aussitôt.
— Tom !
Il portait un costume gris foncé. Ses cheveux blonds étaient coiffés en arrière, lui donnant l’air plus âgé qu’en Californie, mais aussi plus
professionnel. C’était un visage amical dans une mer de visages inconnus, et sa présence tempérait sa folle envie de vomir dans sa chaussure.
— Bonjour, Olive, lança-t-il en lui tenant la porte. Je me disais bien que je vous verrais ici.
— Ah oui ?
— Grâce au programme de la conférence, expliqua-t-il en la regardant bizarrement. Vous n’aviez pas remarqué que nous sommes dans le même groupe d’intervenants ?
Oh, merde.
— Euh… Je… Je n’ai même pas lu le nom des autres membres du groupe.
Parce que j’étais trop occupée à paniquer.
— Pas de souci. Ce sont majoritairement des gens barbants.
Il lui fit un clin d’œil et glissa la main dans son dos, la guidant vers l’estrade.
— En dehors de vous et moi, bien sûr.
Sa présentation se passa plutôt bien.
Mais pas parfaitement non plus. Elle cafouilla à deux reprises sur le mot
« channelrhodopsine », et à cause d’une mauvaise blague du vidéoprojecteur, ses colorations ressemblaient plus à des masses informes qu’à des coupes.
— C’est différent sur mon écran, expliqua Olive au public en affichant un sourire contrit. Faites-moi confiance sur ce coup-là.
Les gens gloussèrent, et elle se détendit légèrement, contente d’avoir passé des heures et des heures à mémoriser tout ce qu’elle était censée dire.
La pièce n’était pas aussi remplie qu’elle l’avait craint, et il y avait une poignée de personnes – qui travaillaient sans doute sur des projets similaires dans d’autres institutions – qui prenaient des notes et buvaient ses paroles.
Ça aurait dû être accablant et anxiogène, mais une fois à la moitié de son intervention, elle s’aperçut que c’était grisant, de savoir que quelqu’un d’autre était passionné par les axes de recherche qui avaient occupé la majeure partie de son temps durant les deux dernières années.
Au second rang, Malcolm mimait une expression fascinée, tandis qu’Anh, Jeremy et un tas d’autres étudiants de Stanford hochaient la tête avec enthousiasme à chaque fois qu’Olive semblait regarder dans leur direction. Tom la regardait parfois intensément mais semblait plus absorbé par son téléphone… Logique, vu qu’il avait déjà lu son rapport. La session prenait du retard, et le modérateur finit par lui donner le temps pour une seule question… une facile. À la fin, deux des autres intervenants – des stars de la recherche sur le cancer auprès desquels Olive avait dû se retenir de jouer les groupies – lui serrèrent la main et lui posèrent plusieurs questions sur son travail. Elle se sentit à la fois perdue et au comble de la joie.
— Tu as été tellement géniale, lui dit Anh quand ce fut terminé, s’approchant pour la serrer dans ses bras. En plus, tu as l’air sexy et professionnelle, et pendant que tu parlais, j’ai eu une vision de ton avenir à la fac.
Olive lui rendit son étreinte.
— Quelle vision ?
— Tu étais une chercheuse de premier plan, entourée d’étudiants qui buvaient tes paroles. Et tu répondais à un mail de plusieurs paragraphes par un « non » en minuscules.
— Sympa. J’étais heureuse ?
— Bien sûr que non, rétorqua Anh. On parle de l’université.
— Mesdames, la soirée du département démarre dans une demi-heure.
Malcolm s’approcha pour embrasser Olive sur la joue et la prendre par la taille. Quand elle portait des talons, il était un tout petit peu plus petit qu’elle. Elle voulait clairement une photo d’eux deux côte à côte.
— On devrait aller arroser la seule et unique fois où Olive a réussi à prononcer correctement « channelrhodopsine » avec de l’alcool à volonté.
— Connard.
Il l’attira contre elle pour la serrer dans ses bras et lui murmurer dans le creux de l’oreille :
— Tu t’en es sortie à merveille, Kalamata.
Puis à voix haute :
— Go nous bourrer la gueule !
— Prenez de l’avance. Je vais déposer ma clé USB et mes affaires à l’hôtel.
Olive se fraya un chemin dans la pièce jusqu’à l’estrade, sentant qu’un poids immense avait délesté ses épaules. Elle était détendue et soulagée.
Professionnellement, les choses se présentaient bien : en l’occurrence, avec une préparation adéquate, elle était capable d’aligner plusieurs phrases
cohérentes devant d’autres scientifiques. Elle avait aussi les moyens de mener ses recherches l’année suivante, et deux grands pontes dans son domaine venaient de complimenter son travail. Elle sourit, laissant son esprit vagabonder. Elle se demanda si elle devrait envoyer un message à Adam pour lui dire qu’il avait eu raison, qu’elle avait survécu ; elle devrait probablement lui demander aussi comment s’était passé son discours. Si son PowerPoint avait fait des siennes, s’il avait prononcé correctement des mots comme « microréseaux » et « caryotypes », s’il comptait se rendre à la soirée. Il rejoindrait probablement des amis, mais peut-être qu’elle pourrait lui offrir un verre pour le remercier de son aide. Elle devrait même payer, pour une fois.
— Ça s’est bien passé, dit quelqu’un.
Olive se tourna et vit Tom derrière elle. Il se tenait contre la table, les bras croisés.
Et il avait l’air de l’observer depuis un moment.
— Merci. Votre intervention aussi.
Sa présentation avait plutôt ressemblé à un remake condensé de celle qu’il avait donnée à Stanford, et Olive devait admettre qu’elle avait un peu décroché.
— Où est Adam ? s’enquit-il.
— Toujours en plein discours, j’imagine.
— Ah oui.
Tom roula des yeux. Probablement avec affection, même si son expression était indéchiffrable.
— C’est son truc, pas vrai ?
— Son truc ?
— De faire mieux que vous, répondit-il avant de pousser la table pour se rapprocher. Enfin, il fait mieux que tout le monde. Ça n’a rien de personnel.
Elle fronça les sourcils, confuse, voulant demander à Tom ce qu’il entendait par là, mais il poursuivit :
— Je pense que vous et moi allons nous entendre à merveille l’an prochain.
Ce rappel du fait que Tom croyait suffisamment en son travail pour l’engager dans son labo mit un terme à son malaise.
— Bien sûr, dit-elle en souriant. Merci infiniment de nous donner une chance, à moi et mon projet. J’ai hâte de travailler avec vous.
— De rien, reprit-il, souriant lui aussi. Je pense que nous avons beaucoup à gagner l’un de l’autre. Vous n’êtes pas d’accord ?
Il semblait à Olive qu’elle avait nettement plus à y gagner que lui, mais elle hocha la tête quand même.
— Je l’espère. Je pense que l’imagerie et les biomarqueurs sanguins se complètent admirablement, et c’est seulement en les combinant que nous…
— Et j’ai tout ce dont vous avez besoin, non ? Le financement. Le laboratoire. Le temps et la capacité de superviser vos recherches comme il se doit.
— Oui. En effet. Je…
Soudain, elle distingua nettement le cercle gris autour de son iris.
S’était-il rapproché ? Il était grand, mais pas beaucoup plus qu’elle. Il ne semblait pas si imposant d’habitude.
— Je vous suis reconnaissante. Tellement reconnaissante. Je suis certaine que…
Elle sentit son parfum et son souffle, chaud et déplaisant contre le coin de sa bouche, et… ses doigts, serrés comme un étau autour de son bras, et pourquoi était-il… Qu’est-ce qu’il…
— Qu’est-ce que…
Une boule dans la gorge, Olive se libéra et recula de plusieurs pas.
— Qu’est-ce que vous faites ?
Elle toucha son biceps et… Elle avait mal là où il l’avait agrippée.
Bon sang… Avait-il vraiment fait ça ? Essayé de l’embrasser ? Non, elle avait dû halluciner. Elle devait devenir dingue, parce que Tom ne ferait jamais…
— Disons que c’est un avant-goût.
Elle se contenta de le dévisager, trop abasourdie et engourdie pour réagir, jusqu’à ce qu’il s’approche et se penche vers elle une fois de plus.
Puis tout recommença.
Elle le repoussa. De toutes ses forces, elle le repoussa en posant ses deux mains sur son torse, jusqu’à ce qu’il trébuche en arrière avec un rire cruel et condescendant. D’un seul coup, elle sentit ses poumons se comprimer et elle eut le souffle coupé.
— Un avant-goût de… quoi ? Vous êtes devenu fou ?
Pourquoi souriait-il ? Pourquoi affichait-il cette expression mielleuse et haineuse ? Pourquoi la regardait-il comme…
— Une belle fille comme vous devrait connaître la chanson.
Il la détaillait de la tête aux pieds, et la lueur lubrique dans son regard lui donna l’impression d’être répugnante.
— Ne faites pas comme si vous n’aviez pas choisi une robe aussi courte pour me plaire. Jolies jambes, d’ailleurs. Je vois pourquoi Adam perd son temps avec vous.
— Le… Qu’est-ce que vous…
— Olive, soupira-t-il en mettant les mains dans ses poches.
Il aurait dû paraître inoffensif, ainsi détendu. Mais c’était tout le contraire.
— Vous ne pensez tout de même pas que je vous ai acceptée dans mon labo parce que vous êtes douée, si ?
Bouche bée, elle recula encore. Un de ses talons faillit se prendre dans le tapis, et elle dut se retenir à la table.
— Une fille comme vous. Qui a compris si tôt dans sa carrière que coucher avec un célèbre et talentueux professeur était la bonne méthode pour réussir.
Il souriait toujours. Le même sourire qu’Olive avait trouvé gentil jusqu’ici. Rassurant.
— Vous avez bien couché avec Adam, non ? Nous savons tous les deux que vous coucherez avec moi pour la même raison.
Elle allait vomir. Elle allait vomir et ça n’avait rien à voir avec sa présentation.
— Vous êtes immonde.
— Ah oui ?
Il haussa les épaules, pas le moins du monde perturbé.
— Alors on est deux. Vous avez utilisé Adam pour m’atteindre moi et mon labo. Pour cette conférence aussi.
— C’est faux. Je ne connaissais même pas Adam quand j’ai soumis…
— Oh, pitié. Ne me dites pas que vous pensiez que votre article minable a été retenu pour sa qualité et son importance scientifique ? demanda-t-il, incrédule. J’en connais une qui a une très haute opinion d’elle-même, si on considère le fait que ses recherches sont inutiles et banales, et qu’elle arrive à peine à aligner deux mots sans bégayer comme une gourde.
Elle se figea. Elle avait l’estomac retourné, les pieds cimentés au sol.
— C’est faux, murmura-t-elle.
— Ah bon ? Vous croyez que des scientifiques qui cherchent à impressionner le grand Adam Carlsen par tous les moyens ne sont pas prêts à lécher le cul de la personne qu’il baise en ce moment, quelle qu’elle soit ?
C’est pourtant ce que j’ai fait quand j’ai dit à sa petite amie médiocre qu’elle pouvait venir travailler pour moi. Mais vous avez peut-être raison, ajouta-t-il, feignant l’affabilité. Peut-être que vous connaissez le monde universitaire mieux que moi.
— Je vais tout raconter à Adam. Je vais…
— Mais certainement, l’interrompit Tom en écartant les bras. Allez-y. Je vous en prie. Avez-vous besoin d’emprunter mon téléphone ?
— Non.
Elle sentait ses narines palpiter. Une vague de colère froide la submergeait.
— Non.
Elle se retourna et se dirigea vers l’entrée d’un pas décidé, luttant contre la nausée et sentant de la bile remonter dans sa gorge. Elle allait trouver Adam. Elle allait trouver les organisateurs de la conférence et dénoncer Tom. Elle ne le reverrait plus jamais.
— Une petite question. Qui pensez-vous qu’Adam croira, Olive ?
Elle s’arrêta net, à quelques centimètres à peine de la porte.
— Une salope qu’il s’envoie depuis environ deux semaines, ou un ami de longue date ? Quelqu’un qui l’a aidé à décrocher la bourse la plus importante de sa carrière ? Quelqu’un qui veille sur lui depuis qu’il est plus jeune que vous l’êtes aujourd’hui ? Quelqu’un qui s’avère être un bon chercheur ?
Elle se retourna d’un bond, tremblante de rage.
— Pourquoi vous faites ça ?
— Parce que je peux me le permettre, répondit Tom en haussant les épaules. Parce qu’aussi fructueuse que soit ma collaboration avec Adam, son besoin d’être le meilleur en tout est parfois agaçant, et j’aime l’idée de lui prendre quelque chose pour une fois. Parce que vous êtes très jolie, et que je suis impatient de passer plus de temps avec vous l’an prochain. Qui aurait cru qu’Adam avait si bon goût ?
— Vous êtes fou. Si vous pensez que je travaillerai dans votre labo, vous êtes…
— Oh, Olive. Mais oui. Parce que, voyez-vous… même si votre travail n’est pas particulièrement brillant, il complète bien les projets en cours dans mon labo.
Elle laissa échapper un rire singulier, amer.
— Vous avez perdu tout sens du réel si vous croyez que je vais collaborer avec vous après ça.
— Hmm. Disons plutôt que vous n’avez pas le choix. Parce que si vous tenez à terminer votre projet, mon labo est votre seule chance. Et sinon…
eh bien. Vous m’avez envoyé des informations sur tous vos protocoles, ce qui signifie que je pourrai facilement les reproduire. Mais ne vous inquiétez pas. Je mentionnerai peut-être votre nom dans les remerciements.
Elle sentait le sol vaciller sous ses pieds.
— Vous n’oseriez pas, dit-elle dans un souffle. C’est une faute professionnelle.
— Écoutez, Olive. Voici mon conseil d’ami : prenez sur vous. Gardez Adam satisfait et intéressé aussi longtemps que possible, puis rejoignez mon labo pour enfin faire un travail décent. Si vous me gardez satisfait, je m’assurerai que vous puissiez sauver le monde du cancer du pancréas. Votre histoire pathétique tout juste bonne à faire pleurer dans les chaumières sur votre maman, votre tante ou votre stupide institutrice en train de mourir ne vous mènera pas plus loin. Vous êtes médiocre.
Olive se retourna et s’enfuit en courant.
Quand elle entendit le bip de la porte, elle s’essuya immédiatement le visage sur les manches de sa robe. Ça ne faisait pas vraiment illusion : elle avait pleuré pendant vingt bonnes minutes, et même un rouleau entier de papier toilette n’aurait pas suffi à sécher ses larmes. Cela dit, ce n’était vraiment pas la faute d’Olive. Elle était persuadée qu’Adam devait assister à l’inauguration ou, du moins, à la soirée du département après son discours. Ne faisait-il pas partie du comité événementiel ? Il n’était pas censé être là. Il aurait dû être en train de sociabiliser. De réseauter. De « comiter ».
Mais il était là. Olive l’entendit entrer, puis s’arrêter, et…
Elle n’arrivait pas à croiser son regard. Elle était dans un état lamentable. Mais elle devrait au moins essayer de faire diversion. Peut-être en disant quelque chose. N’importe quoi.
— Salut.
Elle tenta un sourire, mais avait toujours les yeux baissés sur ses mains.
— Comment s’est passée votre intervention ?
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
Sa voix était calme, intimiste.
— Vous venez à peine de terminer ?
Son sourire tenait bon. Bien. Bien, c’était bien.
— Comment étaient les questions…
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Rien. Je…
Elle n’arrivait pas à terminer sa phrase. Et son sourire – qui, en toute honnêteté, n’en était pas vraiment un – se délitait. Olive entendit Adam approcher. Ses paupières fermées étaient la seule chose qui empêchait les vannes de s’ouvrir, et elles ne s’en sortaient pas très bien, d’ailleurs.
Elle sursauta quand elle le trouva agenouillé devant elle. Juste à côté de sa chaise, le visage au niveau du sien, l’examinant sous toutes les coutures avec un air inquiet. Elle entreprit de se cacher derrière ses mains, mais celle d’Adam se posa sur son menton et le redressa, jusqu’à ce qu’elle n’ait d’autre choix que de croiser son regard. Puis ses doigts remontèrent le long de sa joue, la caressant, lorsqu’il demanda, encore une fois : — Olive. Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Rien.
Sa voix tremblait.
— Olive.
— Vraiment. Rien.
Adam la regarda fixement, sceptique, et ne lâcha pas.
— Quelqu’un a acheté le dernier paquet de chips ?
Un rire bouillonnait en elle, une sensation qu’elle ne contrôlait pas vraiment.
— Oui. C’était vous ?
— Bien sûr.
Il lui caressait la joue avec son pouce, stoppant une larme.
Elle parvint à ménager un sourire plus sincère.
— J’espère que vous avez une bonne complémentaire santé, parce que vous foncez droit vers un diabète de type 2.
— Ça en vaut la peine.
— Espèce de monstre.
Elle avait sans doute penché la tête, car elle sentit de nouveau son pouce lui caresser la joue. Toujours aussi délicatement.
— C’est comme ça que vous parlez à votre faux petit ami ?
Il avait l’air tellement inquiet. Son regard, la fine ligne de sa bouche. Et pourtant… tellement patient.
— Qu’est-ce qui s’est passé, Olive ?
Elle secoua la tête.
— J’ai juste…
Elle ne pouvait pas lui dire. Et elle ne pouvait pas ne pas lui dire. Mais surtout, elle ne pouvait pas lui dire.
Qui pensez-vous qu’Adam croira, Olive ?
Elle dut reprendre son souffle. Chasser la voix de Tom de son esprit et se calmer avant de poursuivre. Trouver quelque chose à dire, quelque chose qui éviterait au ciel de tomber dans cette chambre d’hôtel.
— Ma présentation. Je pensais que ça s’était bien passé. C’est ce que mes amis m’ont dit. Mais ensuite j’ai entendu des gens en parler, et…
Adam devait vraiment arrêter de la toucher. Sa main devait être trempée. La manche de son blazer aussi.
— Qu’est-ce qu’ils ont dit ?
— Rien. Que c’était banal. Rasoir. Que je bégayais. Ils savaient que je suis votre petite amie et ont estimé que c’était la seule raison pour laquelle j’avais été choisie.
Elle secoua la tête. Il fallait qu’elle lâche prise. Qu’elle pense à autre chose. Qu’elle réfléchisse concrètement à ce qu’elle allait faire.
— Qui ? Qui ça ?
Oh, Adam.
— Des gens. Je ne sais pas trop.
— Vous avez vu leurs badges ?
— Je… n’ai pas fait attention.
— Ils faisaient partie du groupe d’intervenants ?
Il y avait quelque chose dans sa voix. Quelque chose de pressant qui laissait présager de la violence, de la rage et des os brisés. Il pressait sa main avec toujours autant de délicatesse contre sa joue, mais il fronçait les sourcils. Elle le vit serrer les dents et sentit un frisson descendre le long de sa colonne vertébrale.
— Non, mentit-elle. Ça n’a pas d’importance. Ça va.
Ses lèvres formaient une ligne droite et ses narines frémissaient, elle ajouta donc :
— Je me moque de ce que les gens pensent de moi, de toute façon.
— C’est ça, railla-t-il.
À cet instant Adam se comportait comme le prof lunatique et irascible dont les étudiants de son programme se plaignaient. Olive n’aurait pas dû être surprise de le voir à ce point en colère, mais il n’avait jamais été comme ça avec elle auparavant.
— Non, vraiment, je me moque de ce que les gens disent…
— Je sais bien que non. Mais c’est tout le problème, pas vrai ?
Il la regardait fixement, et il était tellement près. Elle pouvait voir le jaune et le vert se fondre dans le marron clair de ses yeux.
— Ce n’est pas ce qu’ ils disent. C’est ce que vous pensez. Vous pensez qu’ils ont raison. N’est-ce pas ?
Sa bouche était comme remplie de coton.
— Je…
— Olive. Vous êtes une scientifique géniale. Et vous en deviendrez une encore meilleure.
La façon dont il la regardait, si sincère et sérieuse… ça allait la détruire.
— Quoi que ce connard ait dit, ça ne veut rien dire sur vous, mais ça en dit long sur son compte.
Il passa une mèche de ses cheveux derrière son oreille.
— Votre travail est brillant.
Elle n’y réfléchit même pas. Et quand bien même, elle n’aurait sans doute pas réussi à s’en empêcher. Elle se pencha et enfouit son visage contre son cou, le serrant fort. Un geste désastreux, stupide… inapproprié, et Adam allait sûrement la repousser d’un moment à l’autre, sauf que…
Il posa la main sur sa nuque, comme pour la garder contre lui, et Olive se contenta de rester là pendant de longues minutes, pleurant à chaudes
larmes contre lui, sentant à quel point il était rassurant, chaud, solide… sous ses doigts et dans sa vie.
Il fallait que tu débarques et tu me fasses craquer pour toi, songea-telle, clignant des yeux contre sa peau. Espèce de connard fini.
Il ne la lâcha pas. Pas jusqu’à ce qu’elle recule et s’essuie les joues, sentant que cette fois, elle serait peut-être capable de tenir le coup. Elle renifla, et il se pencha pour attraper une boîte de mouchoirs sur la table basse.
— Vraiment, ça va.
Il soupira.
— D’accord, peut-être… peut-être que je ne suis pas au top là tout de suite, mais ça viendra.
Elle accepta le mouchoir qu’il lui tendait et se moucha.
— J’ai seulement besoin d’un peu de temps pour…
Il la dévisagea et hocha la tête, le regard de nouveau indéchiffrable.
— Merci. De ce que vous avez dit. De m’avoir laissée répandre de la morve partout dans votre chambre d’hôtel.
Il sourit.
— Pas de problème.
— Et sur votre veste. Vous allez… vous allez à la soirée ? demanda-telle, redoutant le moment où elle devrait quitter cette chaise.
Cette pièce. Sois franche, lui murmura cette voix raisonnable, omnisciente, dans sa tête. C’est sa présence que tu ne veux pas quitter.
— Et vous ?
Elle haussa les épaules.
— J’ai dit que je viendrais. Mais je n’ai pas envie de parler à qui que ce soit pour l’instant.
Elle se frotta de nouveau les joues, mais le flot de larmes s’était miraculeusement tari. Adam Carlsen, pourtant responsable de 90 % des larmes versées dans le département, venait de réussir à consoler quelqu’un.
Qui l’aurait cru ?
— Même si je sens que l’alcool à volonté pourrait vraiment aider.
Il la regarda d’un air pensif pendant un moment, se mordant l’intérieur de la joue. Puis il hocha la tête, l’air de prendre une décision, et se leva en lui tendant la main.
— Allez.
Elle dut tendre le cou pour le regarder.
— Je crois que je vais attendre un peu avant de…
— Nous n’allons pas à la soirée.
Nous ?
— Quoi ?
— Allez, répéta-t-il, et cette fois, Olive lui prit la main et ne la lâcha plus.
Elle n’aurait pas pu, vu la manière dont il serrait ses doigts. Adam regarda ses chaussures d’un air entendu, jusqu’à ce qu’elle saisisse l’allusion et les enfile, s’appuyant sur son bras pour garder l’équilibre.
— Où allons-nous ?
— Trouver de l’alcool à volonté. Enfin, rectifia-t-il, à volonté pour vous.
Elle eut le souffle coupé lorsqu’elle comprit ce qu’il voulait dire.
— Non, je… Adam, non. Vous devez aller à la soirée. Et à la cérémonie d’inauguration. Vous êtes le premier conférencier !
— Et j’ai primo-conférencé.
Il attrapa son manteau rouge sur le lit et la poussa vers l’entrée.
— Vous pouvez marcher avec ces chaussures ?
— Je… oui, mais…
— J’ai ma clé ; nous n’avons pas besoin de la vôtre.
— Adam.
Elle lui attrapa le poignet, et il se tourna aussitôt vers elle.
— Adam, vous ne pouvez pas faire l’impasse. Les gens diront que vous…
— Que je veux passer du temps avec ma petite amie ? dit-il avec un sourire en coin.
Le cerveau d’Olive court-circuita. Sans prévenir. Puis il se remit en marche, et…
Le monde était un peu différent.
Quand il lui reprit la main, elle sourit et le suivit.
HYPOTHÈSE : Il n’existe aucun moment dans la vie qui ne soit pas sublimé par de la nourriture livrée sur un tapis roulant.
Tout le monde les avait vus.
Des gens qu’Olive n’avait jamais rencontrés auparavant, des gens qu’elles avaient vus sur des blogs scientifiques ou sur Twitter, des gens de son département qui avaient été ses enseignants. Des gens qui souriaient à Adam, qui l’appelaient par son prénom ou Dr Carlsen, qui lui disaient : « Super discours » ou : « À plus ». Des gens qui ignoraient complètement Olive, et des gens qui la regardaient avec curiosité… elle, Adam, et leurs mains jointes.
Adam répondit principalement par des signes de tête, s’arrêtant seulement pour discuter avec Holden.
— Vous quittez la soirée ? demanda-t-il avec un sourire entendu.
— Oui.
— Je m’assurerai de boire votre part dans ce cas. Et de faire part de vos excuses.
— Inutile.
— Je me contenterai de dire que tu as eu une urgence familiale, reprit Holden en les gratifiant d’un clin d’œil. Peut-être une urgence de future famille, qu’est-ce que t’en dis ?
Adam leva les yeux au ciel et entraîna Olive à l’extérieur. Elle avait du mal à tenir le rythme, pas parce qu’il était particulièrement rapide, mais parce que ses jambes étaient trop longues : une seule de ses foulées valait trois des siennes.
— Euh… je porte des talons.
Il baissa les yeux sur ses jambes avant de détourner rapidement le regard.
— Je sais. Votre verticalité est moins contrariée que d’habitude.
Elle fronça les sourcils.
— Eh, je fais presque 1,73 mètre. C’est plutôt grand en fait.
— Hmm.
L’expression d’Adam était évasive.
— C’est quoi cette tête ?
— Quelle tête ?
— Votre tête ?
— Vous voulez dire, ma tête habituelle ?
— Non, c’est votre tête « vous n’êtes pas si grande ».
Il esquissa un sourire à peine perceptible.
— Les chaussures, ça ira pour marcher ? Vous voulez rentrer ?
— Ça ira, mais on peut ralentir ?
Il fit semblant de soupirer, mais s’exécuta. Il posa la main sur ses reins pour l’entraîner vers la droite. Elle dut réprimer un petit frisson.
— Alors…
Elle enfouit ses poings dans les poches de son manteau, s’efforçant d’ignorer à quel point le bout de ses doigts picotait.
— Qu’en est-il de ces boissons à volonté ? Est-ce qu’elles s’accompagnent de nourriture ?
— Je compte bien vous nourrir, répondit Adam avec un petit sourire.
Vous revenez plutôt cher, comme rencard, cela dit.
Elle donna un coup d’épaule dans son biceps et eut l’impression de se cogner contre un roc.
— Ce n’est pas moi qui vais dire le contraire. J’ai bien l’intention de m’empiffrer et de boire jusqu’à plus soif.
Ses fossettes étaient plus marquées que jamais.
— Où voulez-vous aller, petite maligne ?
— Attendez voir… Qu’est-ce que vous aimez ? En dehors de l’eau du robinet et des épinards bouillis ?
Il lui jeta un coup d’œil assassin.
— Que dites-vous d’un hamburger ?
— Mouais, répondit-elle en haussant les épaules. Pourquoi pas. S’il n’y a rien d’autre.
— Qu’est-ce qui cloche avec les hamburgers ?
— Je ne sais pas. Ils ont un goût de jus de chaussette.
— Ils quoi ?
— Pourquoi pas mexicain ? Vous aimez le mexicain ?
— Les hamburgers n’ont pas le goût de…
— Ou italien ? Une pizza, ce serait top. Et peut-être qu’il y aura quelque chose à base de céleri que vous pourrez commander.
— Va pour un hamburger.
Olive éclata de rire.
— Et chinois ?
— J’en ai mangé au déjeuner.
— Eh bien, les gens en Chine mangent chinois plusieurs fois par jour, donc ça ne devrait pas vous empêcher de… Oh.
Il fallut deux pas de plus à Adam pour se rendre compte qu’Olive s’était arrêtée en plein milieu du trottoir. Il se retourna.
— Quoi ?
— Là.
Elle pointa du doigt l’enseigne rouge et blanche de l’autre côté de la route.
Adam suivit son regard. Il se contenta de fixer la devanture pendant un long moment, puis :
— Non.
— Là, répéta-t-elle avec un large sourire.
— Olive.
Une profonde ligne verticale se creusait entre ses sourcils.
— Non. Il y a de bien meilleurs restaurants où nous pouvons…
— Mais je veux manger là.
— Pourquoi ? Il y a…
Elle s’approcha et tira sur la manche de son blazer.
— S’il vous plaît. S’il vous plaît ?
Adam se pinça le nez, soupira et afficha une mine boudeuse. Mais à peine cinq secondes plus tard, il posait la main entre ses omoplates pour la guider de l’autre côté de la rue.
Le problème, expliquait-il à voix basse tandis qu’ils attendaient qu’on les accueille, n’était pas le train à sushis, mais la formule à volonté pour vingt dollars.
— Ce n’est jamais bon signe, fit-il remarquer, mais son ton semblait plus résigné que combatif, et quand le serveur les fit entrer, il suivit docilement jusqu’à la table.
Olive s’émerveillait devant les plats qui voyageaient sur le tapis roulant dans tout le restaurant, incapable de réprimer son sourire enthousiaste.
Quand elle se souvint de la présence d’Adam, elle se tourna vers lui. Il l’observait avec une expression à mi-chemin entre l’exaspération et l’indulgence.
— Vous savez, lui dit-il, jetant un coup d’œil à une salade d’algues qui passait près de son épaule, nous pourrions aller dans un vrai restaurant japonais. Je serais ravi de payer pour le nombre astronomique de sushis que vous voulez engloutir.
— Mais est-ce qu’ils vont se déplacer autour de moi ?
Il secoua la tête.
— Je reformule : c’est perturbant, à quel point vous ne revenez pas cher comme rencard .
Elle l’ignora et souleva la porte vitrée, attrapant un rouleau et un donut au chocolat. Adam marmonna quelque chose qui ressemblait beaucoup à
« très authentique », et quand la serveuse s’arrêta près d’eux, il commanda deux bières.
— Qu’est-ce que c’est, à votre avis ? s’enquit Olive en plongeant un sushi dans sa sauce soja. Du thon ou du saumon ?
— Probablement de la chair d’araignée.
Elle le fourra dans sa bouche.
— Délicieux.
— Vraiment.
Il semblait sceptique.
Ça ne l’était pas, en toute franchise. Mais c’était correct. Et c’était… eh bien, c’était marrant. Exactement ce dont elle avait besoin pour se vider la tête de… tout. Tout en dehors de l’instant présent. Avec Adam.
— Oui.
Elle poussa le dernier sushi dans sa direction, le défiant silencieusement.
Il sépara ses baguettes tout en affichant une expression de souffrance intense et l’attrapa, le mâchant pendant un long moment.
— Ça a un goût de jus de chaussette.
— Carrément pas. Tenez.
Elle attrapa un bol d’edamame sur le tapis.
— Vous pouvez manger ça. En gros, c’est comme du brocoli.
Il en porta un à sa bouche, parvenant à donner l’impression de ne pas détester.
— Nous ne sommes pas obligés de discuter, au fait.
Olive pencha la tête, perplexe.
— Vous avez dit que vous n’aviez envie de parler à personne à l’hôtel.
Donc nous ne sommes pas obligés, si vous préférez manger cette (il jeta un coup d’œil ouvertement méfiant aux assiettes qu’elle avait accumulées) nourriture en silence.
Vous n’êtes pas n’importe qui, semblait une réponse risquée, elle se contenta donc de sourire.
— Je parie que vous êtes très doué pour les silences.
— C’est un défi ?
Elle secoua la tête.
— J’ai envie de discuter. Seulement, on peut éviter le sujet de la conférence ? Ou celui des sciences ? Ou le fait que le monde est rempli de connards ?
Dont certains sont vos amis proches et vos collaborateurs ?
Il serra le poing et la mâchoire mais hocha la tête.
— Super. Nous pourrions discuter de cet endroit charmant…
— Il est consternant.
— … ou de ces délicieux sushis…
— Du jus de chaussette.
— … ou du meilleur film de la franchise Fast and Furious…
— Fast 5. Même si j’ai comme l’impression que vous allez dire…
— Tokyo Drift.
— Exact.
Il soupira, puis ils échangèrent un petit sourire. Et ensuite, leurs sourires s’effacèrent et ils se contentèrent de se dévisager, quelque chose d’épais et doux colorant l’air entre eux, de magnétique et d’à peine supportable. Olive dut détourner le regard, parce que… non. Non.
Elle tourna la tête et avisa un couple, à quelques mètres sur leur droite.
Ils étaient le reflet exact d’Adam et Olive, assis chacun d’un côté de la table, tout en regards chaleureux et sourires hésitants.
— Vous croyez que c’est un faux rencard ? demanda-t-elle en s’enfonçant dans son siège.
Adam suivit son regard.
— Je pensais que les faux rencards impliquaient plutôt des cafés et de la crème solaire ?
— Non. Seulement les meilleurs.
Il rit en silence.
— Bien.
Il baissa les yeux et prit le temps d’aligner ses baguettes.
— Je peux clairement les recommander.
Olive dissimula un sourire, puis se pencha pour voler un edamame.
Une fois dans l’ascenseur, elle prit appui sur son bras pour enlever ses talons avec maladresse, tandis qu’il l’observait en secouant la tête.
— Je croyais qu’elles ne vous faisaient pas mal ?
Il semblait curieux. Amusé ? Tendre ?
— C’était il y a des lustres.
Olive ramassa ses escarpins et les laissa pendre au bout de ses doigts.
Quand elle se redressa, Adam lui parut de nouveau incroyablement grand.
— Pour l’instant, je suis toute disposée à me couper les pieds.
L’ascenseur émit un bruit métallique, et les portes s’ouvrirent.
— Ça semble assez contre-productif.
— Oh, vous n’avez pas idée… Eh, qu’est-ce que vous… ?
Elle sentit son cœur manquer un battement quand Adam la souleva telle une jeune mariée. Elle poussa un petit cri, et il la porta jusqu’à leur chambre, tout ça parce qu’elle avait une ampoule au petit orteil. N’ayant pas trop le choix, elle passa les bras autour de son cou et se blottit contre lui, tentant d’assurer sa survie s’il décidait de la lâcher. Ses mains étaient chaudes, ses avant-bras fermes et forts.
Son parfum était enivrant. Le contact de sa peau était encore meilleur.
— Vous savez, la chambre est à peine à vingt mètres…
— Je ne comprends absolument pas ce que vous voulez dire.
— Adam.
— Nous, les Américains, nous pensons en pieds, Miss Canada.
— Je suis trop lourde.
— Vous l’êtes.
La facilité déconcertante avec laquelle il la manipula pour ouvrir la porte démentait ses propos.
— Vous devriez arrêter les boissons à la citrouille, ajouta-t-il.
Elle lui tira les cheveux et sourit contre son épaule.
— Jamais.
Leurs badges étaient toujours posés sur la table basse, exactement là où ils les avaient laissés, et il y avait un programme de la conférence ouvert sur le lit d’Adam, sans compter des tote bags et une montagne de flyers inutiles.
Olive les remarqua aussitôt et eut l’impression qu’un millier de petites échardes s’enfonçaient dans sa chair. Ces objets ravivaient les propos de Tom, tous ses mensonges, ses vérités et ses insultes blessantes, et…
Adam avait dû comprendre. Dès qu’il la posa, il se mit à rassembler tout ce qui avait trait à la conférence et le posa sur un fauteuil près de la fenêtre, hors de leur champ de vision, et Olive… Elle aurait pu le serrer dans ses bras. Elle n’en avait pas l’intention – elle l’avait déjà fait deux fois ce jour-là – mais elle aurait vraiment pu. Au lieu de ça, elle arracha toutes ces petites échardes de son esprit, s’écroula sur son lit et riva les yeux au plafond.
Elle aurait cru que d’être avec lui dans un si petit espace pour une nuit entière serait bizarre. Et ça l’était un peu, ou du moins, ça l’avait été plus tôt dans la journée, mais elle se sentait désormais apaisée et en sécurité.
Comme si son monde, constamment délirant, bordélique et exigeant, ralentissait. Devenait plus simple, rien qu’un peu.
Le dessus de lit se froissa sous sa tête quand elle se tourna pour regarder Adam. Il avait l’air détendu, lui aussi. Il mit sa veste sur le dossier d’une chaise, puis enleva sa montre et la posa délicatement sur le bureau. Le côté intime et tranquille de la scène – l’idée que leurs journées se termineraient au même endroit, au même moment – apaisait autant Olive qu’une douce caresse le long de la colonne vertébrale.
— Merci. De m’avoir invitée à dîner.
Il lui jeta un coup d’œil, les sourcils froncés.
— Je ne sais pas si on peut vraiment parler de vrai dîner.
Elle sourit, roulant sur le côté.
— Vous ne ressortez pas ?
— Ressortir ?
— Oui. Pour rencontrer d’éminents scientifiques ? Remanger trois kilos d’edamame ?
— Je crois que j’ai eu assez de réseautage et d’edamame pour une décennie entière.
Il ôta ses chaussures et ses chaussettes et les posa soigneusement près du lit.
— Vous restez ici ?
Il la regarda.
— À moins que vous vouliez être seule ?
Non, je ne veux pas. Elle se redressa sur un coude.
— Et si on regardait un film ?
Adam eut l’air incrédule.
— Bien sûr.
Il semblait surpris, mais pas mécontent.
— Mais si vos goûts en matière de films sont à l’aune de vos goûts en matière de restaurants, ce sera probablement…
Il n’eut pas le temps d’éviter l’oreiller. Ce dernier rebondit sur son visage avant de s’écraser au sol. Olive ricana puis se leva d’un bond.
— Ça vous ennuie si je prends une douche avant ?
— Petite maligne.
Elle se mit à fouiller dans sa valise.
— Vous pouvez choisir le film ! Ça m’est égal, tant qu’il n’y a pas de scène où un cheval meurt, parce que c’est… Merde.
— Quoi ?
— J’ai oublié mon pyjama.
Elle chercha son téléphone dans les poches de son manteau. Il ne le trouva pas et s’aperçut qu’elle ne l’avait pas emporté au restaurant.
— Vous avez vu mon… Ah, le voilà.
La batterie était presque déchargée, sans doute parce qu’elle avait oublié de stopper l’enregistrement après sa présentation. Elle n’avait pas vérifié ses messages depuis plusieurs heures, et en trouva plusieurs non lus – principalement d’Anh et Malcolm, lui demandant ce qu’elle faisait et si elle comptait toujours venir à la soirée, lui ordonnant de ramener ses fesses dès que possible parce que « l’alcool coule à flots », et ensuite, enfin, l’informant qu’ils se rendaient dans un bar du centre-ville. Anh devait être bien bourrée à ce stade, parce que son dernier message disait : « Apple si tu veux t joindre <3 nous, Olvie ».
— J’ai oublié mon pyjama et je voulais voir si je pouvais emprunter quelque chose à mes amis, mais je crois qu’ils ne seront pas rentrés avant
des heures. Peut-être que Jess ne les a pas accompagnés, laissez-moi lui envoyer un message pour voir si…
— Tenez.
Adam posa un vêtement noir et soigneusement plié sur son lit.
— Vous pouvez prendre ça si vous voulez.
Elle l’examina d’un air sceptique.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Un tee-shirt. J’ai dormi avec hier, mais c’est toujours mieux que la robe que vous portez. Pour dormir, je veux dire, ajouta-t-il, rougissant légèrement.
— Oh.
Elle le prit, et le tee-shirt se déplia. Elle remarqua aussitôt trois choses : il était grand, tellement grand qu’il la couvrirait jusqu’à mi-cuisse, voire plus bas ; il sentait merveilleusement bon, un mélange de la peau d’Adam et de lessive qui lui donnait envie d’y enfouir son visage et de le humer pendant des semaines ; et sur le devant, était inscrit en grosses lettres blanches…
— Ninja de la biologie ?
Adam se gratta la nuque.
— Je ne l’ai pas acheté.
— Vous l’avez… volé ?
— C’était un cadeau.
— Eh bien, reprit-elle, un large sourire aux lèvres. Sacré cadeau.
Docteur ninja.
Il soutint son regard.
— Si vous le répétez à qui que ce soit, je nierai.
Elle gloussa.
— Vous êtes sûr que ça ne vous dérange pas ? Qu’allez-vous porter ?
— Rien.
Elle dut rester bouche bée un peu trop longtemps, parce qu’il lui adressa un regard amusé et secoua la tête.
— Je plaisante. J’ai un tee-shirt sous ma chemise.
Elle hocha la tête et se précipita dans la salle de bains, mettant un point d’honneur à ne pas croiser son regard.
Une fois seule sous l’eau chaude, il était nettement plus difficile de se concentrer sur des sushis rassis et sur le sourire en coin d’Adam, et
d’oublier pourquoi il avait fini par l’autoriser à se cramponner à lui pendant trois heures. Ce que Tom lui avait fait était ignoble, et elle allait devoir le dénoncer. Elle allait devoir le dire à Adam. Elle allait devoir faire quelque chose. Mais chaque fois qu’elle essayait d’y penser rationnellement, elle entendait de nouveau sa voix – « médiocre », « jolies jambes », « inutiles et banales », et « histoire pathétique tout juste bonne à faire pleurer dans les chaumières » – résonner si fort qu’elle craignait que son crâne éclate en mille morceaux.
Elle prit donc sa douche aussi vite que possible, tout en lisant les étiquettes du shampooing et du gel douche d’Adam (un truc hypoallergénique au pH neutre qui la fit rouler des yeux) et se sécha aussi rapidement qu’il était humainement possible de le faire. Elle enleva ses lentilles de contact, puis vola un peu du dentifrice d’Adam. Son regard se posa sur sa brosse à dents… elle était noire, y compris les poils, et elle ne put s’empêcher de glousser.
Quand elle sortit de la salle de bains, il était assis au bord du lit, vêtu d’un pantalon de pyjama et d’un tee-shirt blanc. Il tenait la télécommande dans une main et son téléphone dans l’autre, regardant les deux écrans en fronçant les sourcils.
— C’était sûr.
— Quoi donc ? demanda-t-il d’un air absent.
— Que votre brosse à dents serait noire.
Il afficha un sourire en coin.
— Ça peut sembler choquant, mais Netflix ne propose pas de catégorie pour les films dans lesquels aucun cheval ne meurt.
— N’importe quoi ! C’est pourtant plus que nécessaire.
Elle roula en boule sa robe trop courte et la fourra dans son sac, rêvant de l’enfoncer dans la gorge de Tom.
— Si j’étais américaine, je me présenterais sans hésiter au Congrès sur cette plate-forme.
— Devrait-on faire semblant de se marier pour que vous ayez la nationalité ?
Elle sentit son cœur manquer de nouveau un battement.
— Yep. Je pense qu’il est temps de faire semblant de passer à l’étape supérieure.
— Donc, reprit-il en tapotant sur son téléphone, je tape juste « cheval mort » sur Google, en plus du titre de n’importe quel film qui a l’air bien ?
— C’est ce que je fais d’habitude.
Elle s’approcha de lui.
— Qu’est-ce que ça donne ?
— Celui-ci parle d’une prof de linguistique à qui on demande de déchiffrer un message extraterre…
Il leva les yeux et se tut. Sa bouche s’ouvrit puis se referma, et son regard glissa sur ses cuisses, ses pieds, ses chaussettes licorne, avant de revenir rapidement à son visage. Non, pas son visage : un point au-dessus de ses épaules. Il se racla la gorge avant de dire : — Content que… ça vous aille.
Il se concentra de nouveau sur son téléphone. Il tenait la télécommande d’une main plus ferme.
Il lui fallut un moment pour comprendre qu’il faisait référence à son tee-shirt.
— Ah, oui, confirma-t-elle en souriant. Pile poil ma taille, hein ?
Il était tellement grand qu’il la couvrait presque autant que sa robe, mais il était aussi doux et confortable qu’un chausson.
— Je ne vous le rendrai peut-être pas.
— Il est tout à vous.
Elle se dandina, se demandant si elle pouvait s’asseoir près de lui. Vu qu’ils devaient choisir un film ensemble.
— Je peux vraiment dormir ici cette semaine ?
— Bien sûr. Je serai parti demain, en plus.
— Oh.
Elle le savait, bien entendu. Elle l’avait su la première fois qu’il le lui avait dit, deux semaines auparavant ; elle l’avait su en prenant l’avion ce matin-là quand elle avait embarqué à San Francisco, et elle l’avait su quelques heures plus tôt, quand elle s’était servie de cette information pour se rassurer quant au fait que, peu importait à quel point son séjour avec Adam serait bizarre et stressant, au moins il serait bref. Sauf que ce n’était plus bizarre. Et pas stressant non plus. Nettement moins que l’idée d’être séparée de lui pendant plusieurs jours. De se retrouver là sans lui.
— Vous avez de la place dans votre valise ?
— Hmm ?
Il leva les yeux, souriant toujours, mais il avait dû remarquer quelque chose dans son regard, derrière la plaisanterie et la tentative d’humour.
Quelque chose de vulnérable et d’implorant qu’elle n’avait pas réussi à enfouir.
— Olive, reprit-il, posant son téléphone et la télécommande sur le lit.
Ne vous laissez pas faire.
Elle se contenta de pencher la tête. Elle n’allait pas se remettre à pleurer.
Ça n’avait pas de sens. Et elle n’était pas comme ça… cette créature fragile, sans défense, qui se remettait en question au moindre revers. Du moins, elle n’était pas comme ça avant. Bon sang, elle détestait Tom Benton !
— Laisser faire ?
— Ne les laissez pas vous gâcher cette conférence. Ou votre passion.
Ou vous faire douter de vous.
Elle baissa les yeux, contemplant ses chaussettes jaunes tandis qu’elle enfonçait ses orteils dans la douce moquette. Puis elle le regarda.
— Vous savez ce qui est vraiment triste dans tout ça ?
Il secoua la tête, et Olive poursuivit.
— Pendant un moment, pendant ma présentation… je me suis amusée.
J’étais paniquée. À deux doigts de vomir, ça oui. Mais pendant que je parlais de mon travail à cette énorme assemblée, de mes postulats et de mes idées, et que j’expliquais mon raisonnement, les essais et les erreurs, pourquoi mes recherches sont aussi importantes, je… Je me sentais confiante. Je me sentais douée à cet exercice. Tout me semblait légitime et sympa. Comme la science est censée l’être quand on la partage, ajouta-telle, en s’étreignant. Comme si j’étais capable de devenir une vraie chercheuse, au bout du compte. Une vraie de vraie. Voire de faire la différence.
Il hocha la tête comme s’il comprenait exactement ce qu’elle voulait dire.
— J’aurais voulu être là, Olive.
Elle voyait bien qu’il le pensait vraiment. Qu’il regrettait de ne pas avoir été là. Mais même Adam – l’invincible, le déterminé et l’irréprochable Adam – ne pouvait se trouver à deux endroits en même temps, et le fait était qu’il n’avait pas assisté à sa présentation.
« J’ignore si vous êtes assez douée, mais ce n’est pas la question que vous devriez vous poser. L’important, c’est que votre raison d’en faire partie soit suffisamment bonne. » C’était ce qu’il lui avait dit des années plus tôt, dans les toilettes. Ce qu’elle s’était répété pendant des années au moindre obstacle. Mais s’il avait eu tort sur toute la ligne ? Et s’il fallait qu’elle se demande si elle était assez douée ? Et si c’était ça, le plus important ?
— Et si c’était la vérité ? Et si j’étais vraiment médiocre ?
Il ne répondit pas pendant un long moment. Il se contentait de l’observer avec une pointe de frustration dans le regard, l’air pensif. Puis, à voix basse, il ajouta :
— Quand j’étais en deuxième année de doctorat, mon directeur de recherche m’a dit que j’étais un minable qui n’arriverait jamais à rien.
— Quoi ?
Elle ne s’était pas attendue à ça.
— Pourquoi ?
— À cause d’un premier design incorrect. Mais ce ne fut ni la première ni la dernière fois. Et il ne s’agissait pas du motif le plus futile qu’il invoquait pour me descendre. Parfois, il humiliait ses étudiants en public sans raison. Mais cette fois-là m’a collé à la peau, parce que je me souviens d’avoir pensé…
Il déglutit péniblement.
— Je me souviens d’avoir été convaincu qu’il avait raison. Que je n’arriverais jamais à rien.
— Mais vous…
Vous avez publié des articles dans le Lancet . Vous êtes titulaire et disposez de millions de dollars en bourses de recherche. Vous étiez premier conférencier à un colloque incontournable. Olive ne savait pas trop quoi choisir, donc elle opta pour : — Vous avez décroché la bourse MacArthur.
— C’est vrai, concéda-t-il en riant. Et cinq ans avant la bourse MacArthur, en deuxième année de doctorat, j’ai passé une semaine entière à préparer des candidatures en fac de droit parce que j’étais convaincu que je ne deviendrais jamais scientifique.
— Attendez une minute… Donc ce qu’a dit Holden était vrai ?
Elle n’arrivait pas à le croire.
Il haussa les épaules.
— Mes parents auraient adoré. Et quitte à ne pas être scientifique, je me fichais de ce que j’allais devenir.
— Qu’est-ce qui vous en a empêché, dans ce cas ?
Il soupira.
— Holden. Et Tom.
— Tom, répéta-t-elle.
Elle sentit son estomac se nouer.
— J’aurais abandonné mon doctorat sans eux. Notre directeur de recherche était connu pour être sadique. Tout comme moi, apparemment, ajouta-t-il avec un sourire amer. J’étais conscient de sa réputation avant de commencer ma thèse. Le truc, c’est qu’il était brillant aussi. Le meilleur. Et j’ai cru… J’ai cru que je pourrais encaisser, quoi qu’il me balance, et que le jeu en vaudrait la chandelle. J’ai cru que ce serait une question de sacrifice, de discipline et de travail.
Sa voix était tendue. Comme s’il n’avait pas l’habitude d’aborder ce sujet.
— Et ce n’était pas le cas ? demanda-t-elle doucement.
Il secoua la tête.
— Tout le contraire, en un sens.
— Le contraire de la discipline et du travail ?
— Nous avons travaillé dur, certes. Mais la discipline… la discipline supposerait des attentes spécifiques. Un code de conduite est défini, et la moindre difficulté à s’y conformer est gérée de manière productive. C’est ce que je pensais, du moins. Ce que je pense toujours. Vous avez dit que je suis brutal avec mes étudiants, et vous avez peut-être raison…
— Adam, je…
— Mais j’essaie de leur fixer des objectifs et de les aider à les atteindre.
Si je me rends compte qu’ils ne font pas ce que nous avons convenu, je leur dis ce qui cloche et ce qu’ils doivent changer. Je ne les materne pas, je ne cache pas mes critiques derrière des compliments, je ne crois pas à ces conneries de donner des bonbons en guise de récompense, et s’ils me trouvent terrifiant ou hostile à cause de ça, alors tant pis.
Il reprit son souffle.
— Mais ce n’est jamais contre eux. C’est toujours contre leur travail.
Parfois, il est bien fait, d’autres fois il ne l’est pas, et s’il ne l’est pas… le travail peut être refait. Il peut s’améliorer. Je ne veux pas que leur estime personnelle dépende de ce qu’ils produisent.
Il s’interrompit, et il semblait… non, il était ailleurs.
— Je sais bien que ça peut sembler suffisant, mais la science est une affaire sérieuse, et… c’est mon devoir en tant que scientifique, je crois.
— Je…
D’un seul coup, l’air dans la chambre d’hôtel devint glacial. C’est moi qui lui ai dit, songea-t-elle, l’estomac noué. C’est moi qui lui ai répété qu’il est terrifiant et hostile, et que tous ses étudiants le détestent.
— Et votre directeur de recherche ne le croyait pas ?
— Je n’ai jamais vraiment compris sa façon de penser. Ce que je sais maintenant, des années plus tard, c’est qu’il était violent. Beaucoup de choses ignobles se sont produites sous sa juridiction… des scientifiques n’ont pas récolté les lauriers pour leurs idées ou les droits d’auteur qu’ils méritaient. Des gens ont été publiquement humiliés pour des erreurs normales même pour des chercheurs expérimentés… alors pour des étudiants. Les attentes étaient élevées, mais jamais pleinement définies. Des délais intenables étaient fixés arbitrairement, sortis de nulle part, et des étudiants étaient punis parce qu’ils ne les respectaient pas. Des doctorants se voyaient constamment assigner les mêmes tâches, puis étaient mis en compétition, pour le seul plaisir de mon directeur de recherche. Un jour, il nous a mis sur le même projet, Holden et moi, et nous a dit que le premier qui obtiendrait des résultats publiables décrocherait une bourse pour le semestre suivant.
Elle essayait d’imaginer ce que ça lui ferait, si le Dr Aslan encourageait ouvertement un environnement compétitif entre Olive et ses camarades.
Mais non… Adam et Holden avaient été des amis proches toute leur vie, donc la situation n’était pas comparable. C’était comme si on lui avait dit que pour percevoir un salaire le semestre suivant, Olive devait oublier Anh.
— Qu’est-ce que vous avez fait ?
Il se passa une main dans les cheveux, et une mèche tomba sur son front.
— Nous avons fait équipe. Nous nous sommes dit que nous avions des talents complémentaires – un expert en pharmacologie peut accomplir plus
de choses avec un biostatisticien, et vice versa. Et nous avions raison. Notre étude était vraiment bonne. C’était épuisant, mais aussi exaltant, de rester debout jusqu’à pas d’heure pour comprendre comment arranger nos protocoles. De savoir que nous étions les premiers à mettre le doigt sur quelque chose.
L’espace d’un instant, il sembla savourer ce souvenir. Mais ensuite, il serra les dents.
— Et à la fin du semestre, quand nous avons présenté nos résultats à notre directeur de recherche, il nous a dit qu’aucun d’entre nous n’obtiendrait de bourse, parce qu’en collaborant, nous n’avions pas suivi ses consignes. Nous avons passé le printemps suivant à donner six cours d’introduction à la biologie par semaine… en plus du travail de labo.
Holden et moi habitions ensemble. Je vous jure qu’une fois, je l’ai même entendu marmonner : « Les mitochondries sont la centrale électrique de la cellule » dans son sommeil.
— Mais… vous avez donné à votre directeur de recherche ce qu’il voulait ?
Adam secoua la tête.
— Il voulait un jeu de pouvoir. Et en définitive, il l’a obtenu : il nous a punis pour ne pas être entrés dans son jeu et a publié les résultats que nous lui avons fournis, sans nous citer.
— Je…
Elle serra le poing.
— Adam, je suis tellement désolée de vous avoir comparé à lui. Je ne voulais pas…
— C’est pas grave.
Il lui adressa un sourire, crispé mais rassurant.
C’ était grave. Adam pouvait se montrer direct, parfois cruellement.
Têtu, incisif et intransigeant. Pas toujours gentil, mais jamais sournois, ou malveillant. Plutôt le contraire : il était presque trop honnête, et exigeait des autres la même discipline que celle qu’il s’imposait à lui-même. Ses étudiants avaient beau se plaindre du travail qu’on leur demandait au labo, ils reconnaissaient tous qu’il était un vrai mentor et qu’il n’abusait jamais de son autorité. La plupart d’entre eux obtenaient leurs diplômes avec plusieurs publications en poche et décrochaient d’excellents postes.
— Vous ne saviez pas.
Elle se mordit la lèvre, coupable. Abattue. Furieuse contre le directeur de recherche d’Adam et contre Tom de considérer l’université comme leur terrain de jeu personnel. Contre elle-même de ne pas savoir comment réagir.
— Pourquoi personne ne l’a dénoncé ?
Il ferma brièvement les yeux.
— Parce qu’il était pressenti pour un prix Nobel. Deux fois. Parce qu’il avait des amis influents et haut placés, et que nous pensions que personne ne nous croirait. Parce qu’il pouvait créer ou briser des carrières. Parce que nous sentions que rien n’avait été mis en place pour que nous soyons en mesure de demander de l’aide.
Il était visiblement tendu et ne la regardait plus. C’était tellement surréaliste, l’idée qu’Adam Carlsen puisse se sentir impuissant. Et pourtant, ses yeux racontaient une tout autre histoire.
— Nous étions terrifiés, et au fond, nous étions probablement convaincus que nous avions signé pour ça et que nous le méritions. Que nous étions des minables qui n’arriveraient jamais à rien.
Elle avait de la peine pour lui. Pour elle-même.
— Je suis tellement, tellement désolée.
Il secoua de nouveau la tête, et son visage s’illumina quelque peu.
— Quand il m’a dit que j’étais un minable, j’ai cru qu’il avait raison.
J’étais prêt à abandonner la seule chose à laquelle je tenais à cause de ça. Et Tom et Holden… ils avaient leurs propres soucis avec notre directeur de recherche, évidemment. Comme tout le monde. Mais ils m’ont aidé. Pour une raison qui m’échappe, mon directeur de recherche semblait toujours être au courant quand quelque chose tournait mal dans mes recherches, mais Tom a beaucoup joué le médiateur entre nous. Il a encaissé pour que je n’aie pas à le faire. Il faisait partie des chouchous de mon directeur et s’est interposé pour rendre le labo plus vivable.
Adam parlant de Tom comme s’il s’agissait d’un héros lui donnait la nausée, mais elle demeura silencieuse. Il ne s’agissait pas d’elle.
— Et Holden… Holden a volé mes candidatures pour la fac de droit et en a fait des avions en papier. Il avait assez de recul sur ce qui m’arrivait pour m’aider à voir les choses objectivement. Tout comme j’ai assez de recul sur ce qui vous est arrivé aujourd’hui.
Il riva son regard sur elle. Elle y vit une lueur qu’elle ne comprenait pas.
— Vous n’êtes pas médiocre, Olive. Vous n’avez pas été invitée à vous exprimer parce que les gens pensent que vous êtes ma petite amie… C’est impossible, vu que les articles de la SBD empruntent un circuit de relecture anonyme. Je suis bien placé pour le savoir, parce qu’on m’a embauché pour les relire par le passé. Et le travail que vous avez présenté est important, rigoureux et brillant.
Il prit une profonde inspiration. Ses épaules se soulevaient et retombaient en cadence avec les battements du cœur d’Olive.
— J’aimerais que vous puissiez vous voir comme je vous vois.
Peut-être que c’était le choix de mots, ou peut-être son ton. Peut-être que c’était la façon dont il venait de lui révéler quelque chose de personnel, ou dont il l’avait prise par la main plus tôt dans la soirée et l’avait sauvée de sa tristesse. Son chevalier en armure noire. Peut-être que ce n’était rien de tout ça, peut-être que c’était tout ça réuni, ou peut-être que c’était censé arriver depuis toujours. Quoi qu’il en soit… ça n’avait pas d’importance.
Soudain, ça n’avait aucune importance, le pourquoi, le comment. L’ après.
Tout ce qui comptait pour Olive était qu’elle en avait envie, tout de suite, et ça lui parut suffisant pour agir.
Tout se déroula tellement lentement : le pas en avant qu’elle fit pour s’installer entre ses genoux, la main qu’elle posa sur sa mâchoire, la façon dont elle lui caressa la joue. Assez lent pour qu’il puisse l’en empêcher, se libérer, dire quelque chose… et il n’en fit rien. Il se contenta de lever les yeux vers elle, ses yeux d’un marron clair translucide, et Olive sentit son cœur s’emballer lorsqu’il appuya la tête contre la paume de sa main.
Elle n’était pas étonnée de constater à quel point sa peau était douce sous sa barbe de trois jours, à quel point elle était chaude comparée à la sienne. Et quand elle se pencha, plus grande que lui pour une fois, le contact de ses lèvres sous les siennes ressemblait à une vieille rengaine, familière et facile. Ce n’était pas leur premier baiser, après tout. Mais celui-ci était différent. Calme, hésitant et précieux. Adam lui effleura la taille lorsqu’il releva la tête, impatient et pressant, comme si c’était quelque chose auquel il avait pensé… comme s’il en avait eu envie, lui aussi. Ce n’était pas leur premier baiser, mais c’était le premier qui était à eux, et Olive le savoura pendant de longues minutes. La texture, l’odeur, l’intimité. Le léger contretemps dans le souffle d’Adam, les curieuses pauses, la façon dont leurs lèvres se cherchaient pour trouver le bon angle et une forme de coordination.
Vous voyez ? mourait-elle d’envie de dire, triomphante. À qui ? Elle ne savait pas trop. Vous voyez ? C’était censé arriver depuis toujours. Olive sourit contre ses lèvres. Et Adam…
Adam secouait déjà la tête quand elle recula, comme si un non avait attendu dans sa bouche tout du long, même lorsqu’il lui rendait son baiser.
Il referma les doigts autour de son poignet, écartant la main d’Olive de son visage.
— Ce n’est pas une bonne idée.
Le sourire d’Olive s’effaça. Il avait raison. Il avait complètement raison.
Il avait tort aussi.
— Pourquoi ?
— Olive.
Il secoua de nouveau la tête. Puis il ôta la main de sa taille et la porta à ses lèvres, comme pour sentir le baiser qu’ils venaient de partager, s’assurer que c’était vraiment arrivé.
— C’est… non.
Il avait vraiment raison. Mais…
— Pourquoi ? répéta-t-elle.
Adam mit une main devant ses yeux. Il lui tenait toujours le poignet, et elle se demanda s’il en était conscient. S’il savait que son pouce caressait son pouls.
— Nous ne sommes pas venus ici pour ça.
Elle sentit ses narines palpiter.
— Ça ne veut pas dire pour autant que…
— Vous n’avez pas les idées en place, reprit-il, déglutissant péniblement. Vous êtes contrariée et ivre, et…
— J’ai bu deux bières. Il y a des heures.
— Vous êtes une étudiante qui dépend actuellement de moi pour avoir un toit sur la tête, et même si ce n’était pas le cas, le pouvoir que j’ai sur vous pourrait facilement entraîner une dynamique coercitive que…
— Je suis…, s’esclaffa Olive. Je ne me sens pas obligée, je…
— Vous êtes amoureuse de quelqu’un d’autre !
Elle faillit faire un bond en arrière. Il y avait tant de passion dans sa voix. Ça aurait dû calmer ses ardeurs, la faire fuir, lui faire entrer dans le
crâne une bonne fois pour toutes à quel point c’était ridicule, à quel point c’était une mauvaise idée. Mais ce n’était pas le cas. À cet instant, le Adam lunatique et irascible se fondait si bien avec son Adam, celui qui lui achetait des cookies, révisait son Powerpoint et la laissait pleurer dans ses bras. Il y avait eu un temps où elle n’avait pas réussi à concilier les deux, mais tout était si clair désormais, ses différentes facettes formaient un tout harmonieux. Elle ne voulait écarter aucune d’entre elles. Pas une seule.
— Olive.
Il soupira lourdement, fermant les yeux. Elle devrait se montrer honnête avec lui, admettre qu’elle se fichait de Jeremy, qu’il n’y avait personne d’autre. Qu’il n’y avait jamais eu personne d’autre. Mais elle était effrayée, pétrifiée, et après la journée qu’elle venait de passer, son cœur lui semblait tellement facile à briser. Tellement fragile. Adam pouvait le mettre en pièces, sans même s’en rendre compte.
— Olive, c’est ce que vous ressentez maintenant. Dans un mois, une semaine, demain, je ne veux pas que vous regrettiez…
— Qu’en est-il de ce que je veux ?
Elle se pencha en avant, laissant ses mots résonner dans le silence quelques instants.
— Qu’en est-il du fait que j’ en aie envie ? Mais peut-être que vous vous en fichez.
Elle se redressa, clignant rapidement des yeux.
— Parce que vous n’en avez pas envie, c’est ça ? Peut-être que vous ne me trouvez pas attirante et que c’est vous qui n’en avez pas envie.
Elle faillit perdre l’équilibre, lorsqu’il lui attrapa le poignet et tira sa main vers lui, plaquant sa paume contre son aine pour lui montrer que…
Oh.
Oh.
Oui.
Sa mâchoire se crispa lorsqu’il soutint son regard.
— Vous n’avez aucune idée de ce que je veux.
Elle en avait le souffle coupé. Le son grave et guttural de sa voix, le renflement sous ses doigts, l’éclat enragé, affamé, dans son regard. Il repoussa sa main presque aussitôt, mais c’était déjà trop tard.
Non pas qu’Olive n’avait pas… Les baisers qu’ils avaient échangés, ils avaient toujours été intenses, mais à présent, c’était comme si quelque
chose avait vrillé. Pendant longtemps, elle avait trouvé Adam beau et attirant. Elle l’avait touché, s’était assise sur ses genoux, avait envisagé la vague possibilité de devenir intime avec lui. Elle avait pensé à lui, au sexe, à lui et au sexe, mais c’était toujours resté abstrait. Flou et indéfini. Comme une esquisse en noir et blanc : un simple croquis qui se colorait soudain.
C’était limpide désormais. L’onde de désir entre ses cuisses, les pupilles dilatées d’Adam, tout disait comment ce serait entre eux. Enivrant, moite et fluide. Stimulant. Ils donneraient et ils prendraient. Ils seraient incroyablement proches. Et Olive… maintenant qu’elle pouvait le voir, elle en avait vraiment, follement envie.
Elle s’approcha de nouveau.
— Très bien, dans ce cas.
Elle parlait à voix basse, mais elle savait qu’il pouvait l’entendre.
Il fermait les yeux.
— Ce n’est pas pour ça que je vous ai demandé de partager ma chambre.
— Je sais.
Olive écarta une mèche de cheveux noirs de son front.
— Ce n’est pas non plus pour ça que j’ai accepté.
Il avait les lèvres entrouvertes et regardait fixement la main d’Olive, celle qui était presque enroulée autour de son érection un instant plus tôt.
— Vous avez dit « pas de sexe ».
Elle l’avait dit. Elle se souvenait d’avoir réfléchi à ses règles, de les avoir listées dans son bureau, et elle se souvenait d’avoir été certaine que jamais, au grand jamais, elle ne serait intéressée par le fait de voir Adam Carlsen plus de dix minutes par semaine.
— J’ai aussi dit que ça se cantonnerait au campus. Et nous venons juste d’aller dîner. Donc bon…
Il savait peut-être ce qui était raisonnable, mais ce qu’il voulait était différent. Elle pouvait presque voir les débris de son self-control se déliter lentement.
— Je ne…
Il se raidit, de manière infime. La ligne dessinée par ses épaules, sa mâchoire… il était tellement tendu, fuyant toujours son regard.
— Je n’ai rien.
Le temps infini qu’il lui fallut pour comprendre était un peu embarrassant.
— Oh, ça n’a pas d’importance. Je prends la pilule. Et je suis clean, ajouta-t-elle en se mordant la lèvre. Mais nous pourrions aussi faire…
d’autres choses.
Adam déglutit, deux fois, puis hocha la tête. Il ne respirait pas normalement. Et Olive doutait fort qu’il soit capable de dire « non » à ce stade. Ou qu’il en ait l’intention. Pourtant, il prenait vraiment sur lui.
— Et si vous me détestiez après ? Et si en rentrant, vous changiez d’avis…
— Je ne le ferai pas. Je…
Elle approcha…. Bon sang, encore plus près. Elle refusait de penser à l’après. Elle ne pouvait pas, ne voulait pas.
— Je n’ai jamais été plus sûre de quoi que ce soit. Sauf peut-être de la théorie cellulaire.
Elle sourit, espérant qu’il l’imite.
Adam restait droit et sérieux, mais ça importait peu : quand Olive sentit de nouveau sa main, elle se trouvait sur la courbe de ses hanches, sous le tee-shirt qu’il lui avait donné.
HYPOTHÈSE : En dépit de ce que tout le monde raconte, le sexe ne sera jamais rien de plus qu’une activité passablement plaisan… Oh.
Oh.
C’était comme si on lui avait retiré des œillères.
Adam arracha le tee-shirt qu’il portait d’un mouvement fluide, et le vêtement en coton blanc rejoignit les nombreuses choses jetées dans un coin de la pièce. Olive n’avait pas de nom pour ces autres choses ; elle savait seulement que quelques secondes plus tôt, il avait paru réticent, refusant presque de la toucher, et maintenant il ne l’était… plus.
Il menait la danse désormais. Enveloppant sa taille, glissant le bout des doigts sous l’élastique de sa culotte verte à pois, l’embrassant.
Il embrasse, se dit Olive, comme un homme affamé. Comme s’il n’attendait que ça depuis tout ce temps. Comme s’il s’était contenu. Comme si la possibilité qu’ils le fassent un jour lui était déjà venue à l’esprit, mais qu’il l’avait écartée, rangée dans un lieu profond et sombre où elle était devenue terrifiante et incontrôlable. Olive avait cru savoir comment ce serait… Ils s’étaient déjà embrassés, après tout. Mais elle se rendait compte que c’était toujours elle qui l’avait embrassé.
Peut-être qu’elle s’imaginait des trucs. Que connaissait-elle aux différents types de baisers, de toute façon ? N’empêche, quelque chose dans son ventre palpita et se liquéfia quand il mêla sa langue à la sienne, quand il lui mordit le cou, quand il émit un son guttural en plaquant les mains sur ses fesses à travers sa culotte. Adam fit glisser sa main sous son tee-shirt, vers sa cage thoracique. Olive poussa un gémissement et sourit.
— Tu as déjà fait ça avant.
Il cligna des yeux, confus, les pupilles dilatées et sombres.
— Quoi ?
— Le soir où je t’ai embrassé dans le couloir. Tu as fait ça ce soir-là aussi.
— Tu m’as touchée. Ici.
Elle posa la main sur la sienne à travers le coton.
Il la regarda intensément et commença à soulever son tee-shirt, au-dessus de ses cuisses, puis de ses hanches et jusque sous ses seins. Il se pencha sur elle, pressant les lèvres sur ses côtes. Olive gémit. Et elle gémit de plus belle lorsqu’il la mordit doucement, avant de la lécher au même endroit.
— Ici ? demanda-t-il.
Elle se sentait étourdie. Peut-être parce qu’il était tout près, ou parce qu’il faisait chaud. Ou parce qu’elle était presque nue, devant lui.
— Olive.
Sa bouche monta plus haut, d’un centimètre à peine. Elle sentit ses dents contre sa peau et ses os.
— Ici ?
Elle n’aurait jamais cru pouvoir mouiller aussi vite. Ou même mouiller tout court. Mais bon, ça faisait des années qu’elle n’avait pas vraiment pensé au sexe.
— Concentre-toi, chérie.
Il suça la peau sous sa poitrine. Elle dut se cramponner à ses épaules, sentant ses genoux se dérober.
— Ici ?
— Je…
Il lui fallut un moment, mais elle hocha la tête.
— Peut-être. Oui, là. C’était… c’était un baiser réussi.
Elle ferma les yeux et ne lutta même pas quand il lui enleva son tee-shirt. C’était le sien, après tout. Et la façon dont il la regardait ne tolérait aucune gêne de sa part.
— Tu t’en souviens ? demanda-t-elle.
C’était son tour d’être distrait désormais. Il avait les yeux rivés sur ses seins comme s’ils étaient exceptionnels, les lèvres entrouvertes et le souffle court.
— Me souvenir de quoi ?
— De notre premier baiser.
Il ne répondit pas. Au lieu de ça, il la contempla de la tête aux pieds, avec le regard vitreux, et dit :
— Je veux te garder dans cette chambre d’hôtel pendant une semaine.
Il prit un de ses seins dans sa main en coupe, sans grande douceur. Un tout petit peu trop fort, et Olive sentit un spasme dans son bas-ventre.
— Pendant une année entière.
D’un geste il la fit se cambrer, puis il ferma la bouche contre son sein, utilisant ses dents, sa langue, et exerçant une succion merveilleuse, délicieuse. Olive gémit. Elle n’avait pas anticipé, pas pensé qu’elle serait aussi sensible, mais ses tétons étaient tendus, durs et presque douloureux, et s’il ne faisait pas quelque chose, elle allait…
— Je pourrais te dévorer, Olive.
Il pressa sa paume contre sa colonne vertébrale, et Olive se cambra encore un peu plus. Comme une offrande.
— C’est probablement une insulte, souffla-t-elle en souriant, vu que tu n’avales que des herbes et du brocoli… Oh.
Il pouvait faire entrer son sein entier dans sa bouche. En totalité. Il émit un gémissement guttural, et il semblait évident qu’il aurait adoré l’avaler tout entière. Olive aurait dû le toucher, elle aussi… C’était elle qui avait demandé, et elle devait s’assurer qu’être avec elle ne représente pas une corvée pour lui. Peut-être qu’elle pourrait poser la main où il l’avait mise tout à l’heure et le caresser ? Il pourrait lui montrer ce qu’il aimait. Peut-être que c’était un coup d’un soir et qu’ils n’en reparleraient jamais, mais Olive ne pouvait pas s’empêcher de… Elle voulait seulement qu’il prenne du bon temps. Du bon temps avec elle.
— Ça va ?
Elle avait dû se perdre trop longtemps dans ses pensées, parce qu’il la regardait en fronçant les sourcils, tout en lui caressant la hanche.
— Tu as l’air tendue.
Sa voix était cassée. Il se tenait la queue presque sans y penser, la caressant et l’agrippant de temps à autre… quand son regard se posait sur ses tétons durcis, quand elle frissonnait, quand elle frottait ses cuisses l’une contre l’autre.
— On n’est pas obligés de…
— J’en ai envie. Je te l’ai dit.
Il déglutit péniblement.
— Ça n’a pas d’importance, ce que tu as dit. Tu peux toujours changer d’avis.
Vu la façon dont il la regardait, Olive était sûre qu’il allait protester.
Mais il se contenta d’appuyer le front contre son sternum, son souffle chaud contre la peau qu’il venait de lécher, et laissa le bout de ses doigts descendre vers l’élastique de sa culotte, puis glisser sous le coton fin.
— Je crois que c’est moi qui ai changé d’avis.
Elle se raidit.
— Je sais que je ne fais rien, mais si tu me dis ce que tu aimes, je peux…
— Ma couleur préférée doit être le vert, finalement.
Elle gémit lorsqu’il appuya son pouce sur son entrejambe à travers le tissu déjà sombre et humide. Elle expira jusqu’à manquer d’air, morte de honte à l’idée que, désormais, il savait exactement à quel point elle en avait envie… et au contact de son doigt le long de la couture de sa culotte.
Oui, il savait. Parce qu’il la regarda, les yeux vitreux et le souffle court.
— Putain, murmura-t-il. Olive.
— Est-ce que tu…
Elle avait la bouche aussi sèche que le désert.
— Tu veux que je l’enlève ?
— Non, répondit-il en secouant la tête. Pas tout de suite.
— Mais si nous…
Il tira doucement l’élastique et souleva le coton. Elle luisait, gonflée et charnue, déjà bien excitée, si on considérait qu’ils n’avaient pratiquement rien fait. Tellement impatiente. C’était embarrassant.
— Je suis désolée.
Elle ressentit deux sortes de chaleur, celle qui tourbillonnait dans son bas-ventre, et celle qui remontait jusqu’à ses joues. Olive arrivait à peine à les discerner.
— Je suis…
— Parfaite.
Il ne s’adressait pas vraiment à elle. Plutôt à lui-même, s’émerveillant de la façon dont le bout de son doigt plongeait si facilement entre ses lèvres, les écartant et glissant d’avant en arrière, jusqu’à ce qu’Olive penche la tête et ferme les yeux, parce que le plaisir ruisselait, s’étirait, palpitait en elle et qu’elle ne pouvait pas, elle ne pouvait pas, elle ne pouvait pas…
— Tu es tellement belle.
Les mots semblaient lui avoir été arrachés de la bouche. Comme s’il n’avait pas l’intention de les prononcer.
— Je peux ?
Il lui fallut plusieurs secondes pour comprendre qu’il faisait référence à son majeur, à la façon dont il décrivait des cercles autour de l’entrée de son vagin. Exerçant une légère pression contre le bord. Déjà tellement mouillé.
Olive gémit.
— Oui. Tout ce que tu veux, murmura-t-elle.
Il lui lécha le téton, comme pour la remercier, et la pénétra. Ou du moins, il essaya. Olive gémit et Adam fit de même, émettant un « Putain »
étouffé.
Il avait de gros doigts… raison pour laquelle ils ne rentraient pas. La première phalange était déjà presque trop grosse, générant un spasme et une sensation de plénitude inconfortable. Elle bougea, essayant de s’ajuster et de faire de la place, puis s’agita de plus belle jusqu’à ce qu’il agrippe sa hanche pour l’immobiliser. Olive se cramponna à ses épaules, et sa peau luisante glissait et brûlait sous ses paumes.
— Shhh.
Il l’effleura du pouce, et elle gémit.
— Tout va bien. Détends-toi.
Impossible. Même si, honnêtement, la façon dont son doigt se courbait en elle… ça allait déjà mieux. Ce n’était plus trop douloureux, et peut-être encore plus mouillé, et s’il la touchait là… Elle bascula la tête en arrière enfonçant ses ongles dans ses muscles.
— Là ? Tu aimes comme ça ?
Olive voulait lui répondre que non, que c’était trop, mais avant qu’elle puisse ouvrir la bouche, il recommença, jusqu’à ce qu’elle soit incapable de garder le silence, poussant seulement des gémissements et des grognements obscènes. Jusqu’à ce qu’il essaie de s’enfoncer plus loin, et elle ne put s’empêcher de grimacer.
— Qu’est-ce qui se passe ?
Il parlait de sa voix habituelle, mais un million de fois plus rauque.
— Ça fait mal ?
— Non… Oh.
Il leva les yeux, sa peau pâle rougissant derrière ses cheveux bruns.
— Pourquoi tu es aussi tendue, Olive ? Tu as déjà fait ça avant, non ?
Elle ne savait pas trop ce qui la poussa à continuer. N’importe quelle idiote aurait pu voir à un kilomètre à la ronde que c’était une très mauvaise idée, mais les mensonges n’avaient plus leur place maintenant qu’ils étaient aussi proches.
— Deux fois. À la fac.
Adam se figea aussitôt. Elle sentit ses muscles se contracter, gonfler sous ses paumes, puis ils restèrent ainsi, tendus et figés tandis qu’il la dévisageait.
— Olive.
— Mais ça n’a pas d’importance, s’empressa-t-elle d’ajouter, parce qu’il secouait déjà la tête et s’éloignait d’elle.
Ça n’avait vraiment pas d’importance. Pas pour Olive, et par conséquent, ça ne devrait pas non plus en avoir pour Adam.
— Je peux y arriver… J’ai appris à faire un patch-clamp sur une cellule en deux heures ; le sexe ne doit pas être beaucoup plus compliqué. Et je parie que tu fais ça tout le temps, donc tu peux me dire comment…
— Tu perdrais.
La pièce était glaciale. Il avait retiré son doigt et ne la touchait plus.
— Quoi ?
— Tu perdrais ton pari.
Il soupira, se passant une main sur le visage. De l’autre, celle qui avait été en elle, il ajusta sa queue. Elle semblait énorme, et il grimaça en la touchant.
— Olive, je ne peux pas.
— Bien sûr que si.
Il secoua la tête.
— Je suis désolé.
— Quoi ? Non. Non, je…
— Tu es pratiquement vier…
— Non pas du tout !
— Olive.
— Pas du tout.
— Mais c’est tout comme…
— Non, ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. La virginité n’est pas une variable continue, c’est catégorique. Binaire. Nominal. Dichotomique.
Ordinal, potentiellement. Je parle de chi-carré, voire de corrélation de Spearman, de régression logistique, du modèle logit et de cette stupide fonction sigmoïde, et…
Cela faisait des semaines, mais son sourire en coin lui coupait toujours le souffle. Il était toujours inattendu et les fossettes qu’il faisait naître…
Olive haleta lorsqu’il l’attira pour l’embrasser doucement tout en riant.
— Tu es une petite maligne, dit-il contre sa bouche.
— Peut-être.
Elle souriait, elle aussi. Et lui rendit son baiser. Elle passa les bras autour de son cou, et éprouva un frisson de plaisir quand il la serra plus fort contre lui
— Olive, reprit-il en la regardant, si pour une quelconque raison, le sexe est quelque chose avec lequel tu… n’es pas à l’aise, ou que tu préfères ne rien faire en dehors d’une relation amoureuse, alors…
— Non. Non, ça n’a rien à voir avec ça. Je…
Elle prit une profonde inspiration, cherchant ses mots.
— Ce n’est pas que je refuse de m’envoyer en l’air. Seulement je… n’y tiens pas plus que ça. Il y a un truc bizarre avec mon cerveau, et mon corps, et… Je ne sais pas ce qui cloche chez moi, mais je ne ressens visiblement pas d’attirance comme les autres gens. Comme les gens normaux. J’ai essayé de juste… de le faire, de passer le cap, et le type avec qui j’ai couché était gentil, mais la vérité, c’est que je ne ressens pas de…
Elle ferma les yeux. C’était difficile à admettre.
— Je n’éprouve pas d’attirance sexuelle à moins de vraiment faire confiance et d’apprécier une personne, ce qui, pour une raison obscure, ne se produit jamais. Ou quasiment jamais. Ça n’était pas arrivé, pas depuis longtemps, mais maintenant… Je t’apprécie vraiment, et je te fais vraiment confiance, et pour la première fois depuis un million d’années, j’ai envie de…
Elle ne pouvait plus parler, parce qu’il l’embrassait de nouveau, passionnément cette fois, comme s’il cherchait à l’absorber.
— J’en ai envie, dit-elle, dès qu’elle en fut capable. Avec toi. Vraiment.
— Moi aussi, Olive, soupira-t-il. Tu n’as pas idée.
— Alors, je t’en prie. Je t’en prie, ne dis pas « non ».
Elle se mordit la lèvre, puis la sienne. Puis elle lui mordilla la mâchoire.
— S’il te plaît ?
Il prit une profonde inspiration et hocha la tête. Elle sourit et l’embrassa dans le cou. Adam pressa la main sur ses reins.
— Mais, reprit-il, on devrait probablement s’y prendre un peu différemment.
Il lui fallut une éternité pour comprendre ses intentions. Pas parce qu’elle était stupide, ou inconsciente, ou naïve à ce point en matière de sexe, mais parce que…
Peut-être qu’elle était naïve en matière de sexe. Mais elle n’y avait sincèrement pas pensé depuis des lustres avant Adam, et quand bien même, ce n’était jamais vraiment en ces termes… lui au-dessus d’elle, lui écartant les jambes et plaquant les mains à l’intérieur de ses cuisses avant de s’agenouiller entre elles. Glissant vers le bas, lentement.
— Qu’est-ce que tu…
Quand il la pénétra avec sa langue, on aurait dit qu’elle était une motte de beurre qu’il cherchait à découper avec une lame brûlante. Il était lent mais assuré, et ne s’interrompit pas quand Olive se raidit contre sa main, ni quand elle tenta de se libérer. Il se contenta de pousser un grognement sourd ; puis il effleura son ventre, l’inhalant profondément, avant de la lécher de plus belle.
— Adam… arrête, implora-t-elle, et l’espace d’un instant, il se contenta d’enfoncer sa tête contre sa vulve comme s’il n’avait aucune intention de l’écouter.
Puis il leva la tête, le regard brumeux, comme s’il était conscient qu’il devrait l’écouter.
— Hmm ?
Sa bouche vibrait contre elle.
— Peut-être… peut-être que tu devrais t’arrêter ?
Il se figea.
— Tu as changé d’avis ?
— Non. Mais on devrait faire… d’autres trucs.
Il fronça les sourcils.
— Tu n’aimes pas ça ?
— Non. Si. Enfin, je n’ai jamais…
Il fronça les sourcils.
— Mais c’est moi qui t’ai forcé la main, donc on devrait faire des choses qui te plaisent à toi, pas des trucs pour moi.
Cette fois, il plaqua sa langue contre son clitoris, appuyant juste assez pour la faire gémir. Il traçait des cercles tout autour avec sa langue, ce qui était… un mouvement tellement infime, et pourtant, elle porta aussitôt la main à sa bouche, mordant dans la partie charnue de sa paume.
— Adam !
On aurait dit que sa voix appartenait à quelqu’un d’autre.
— Tu as entendu ce que j’ai… ?
— Tu m’as dit de faire quelque chose qui me plaît, répondit-il, son souffle chaud contre elle. C’est ce que je fais.
— Tu ne peux décemment pas vouloir…
Il lui pinça la jambe.
— Je n’ai pas souvenir d’un moment où je n’en ai pas eu envie.
Quelque chose d’aussi intime n’avait rien à voir avec un simple coup d’un soir. Mais difficile de protester alors qu’il semblait envoûté, les yeux rivés sur elle, sur son visage, ses jambes et le reste de son corps.
Il faisait glisser sa main, se rapprochant centimètre par centimètre de ses seins, mais jamais tout à fait. Dans cette position, Olive se sentait un peu embarrassée par l’aspect concave de son ventre. Par la façon dont ses côtes ressortaient. Adam, cela dit, semblait s’en moquer.
— Tu ne préférerais pas…
Une petite morsure.
— Non.
— Je n’ai même pas dit…
Il leva les yeux.
— Il n’y a rien que je préférerais faire.
— Mais…
Il suça une de ses lèvres et elle haleta. Ensuite, il plongea sa langue en elle, et elle gémit, à moitié à cause de la surprise, à moitié à cause de la sensation de… Oui.
Oui.
« Putain », dit quelqu’un. Ce n’était pas Olive, donc ça devait être Adam. « Putain ». C’était une sensation incroyable. D’un autre monde. Sa langue, s’enfonçant par à-coups, traçant des cercles et la léchant, son nez contre sa peau, les légers sons qu’il émettait chaque fois qu’elle se contractait, et Olive allait… elle…
Elle n’était pas certaine de jouir. Pas avec une autre personne dans la pièce en train de la toucher.
— Il se pourrait que ça prenne un moment, s’excusa-t-elle, d’une petite voix.
— Putain, oui, gémit-il, sa langue s’enfonçant en entier. S’il te plaît.
Elle ne pensait pas l’avoir déjà entendu aussi enthousiasmé par quoi que ce soit, pas même la recherche ou la biostatistique. Ça la survoltait, et ce fut pire encore lorsqu’elle remarqua sa main. Pas celle qui écartait ses fesses, l’autre.
Il n’avait pas encore retiré son pantalon, à ce qu’Olive pouvait voir, et c’était injuste, vu qu’elle était elle-même complètement exposée. Mais la manière dont sa main montait et descendait lentement, c’était juste insupportable. Elle se cambra encore plus, sa colonne vertébrale formant une courbe parfaite.
— Olive.
Il recula de quelques centimètres et embrassa l’intérieur de sa cuisse tremblante. Il la huma profondément, comme s’il voulait garder son odeur en lui.
— Tu ne peux pas jouir tout de suite.
Il effleura ses lèvres de sa bouche, et lorsqu’il enfonça profondément sa langue, elle ferma les yeux. Elle sentait une chaleur liquide, brûlante, bouillonnante dans son bas-ventre, se répandant partout. Elle s’agrippa aux draps, cherchant un point d’ancrage. Mais c’était impossible. Ingérable.
— Adam.
— Non. Encore deux minutes.
Il aspira … Mon Dieu, oui. Là.
— Je suis… désolée.
— Encore un peu.
— Je ne peux pas…
— Concentre-toi, Olive.
En définitive, c’était sa voix qui la perdit. Son ton calme, possessif, un brin autoritaire… et le plaisir se répandit en elle telle une déferlante. Son esprit s’éteignit d’un coup, et quand elle reprit conscience du monde qui l’entourait, il la léchait toujours, mais plus lentement, comme s’il cherchait uniquement à la savourer.
— Je veux te lécher jusqu’à ce que tu t’évanouisses.
Ses lèvres étaient si douces contre sa peau.
— Non, protesta Olive en donnant un coup de poing dans l’oreiller.
Je… tu ne peux pas.
— Pourquoi ?
— Il faut que je…
Elle n’arrivait pas à réfléchir correctement, pas encore. Elle avait l’esprit confus.
Elle faillit crier quand il la pénétra de nouveau. Cette fois, il s’enfonça comme dans du beurre, en douceur et sans obstacle, et ses parois se resserrèrent autour de son doigt, comme pour accueillir Adam et le garder à l’intérieur.
— Bon sang.
Il lui lécha de nouveau le clitoris, mais elle était trop sensible pour ça.
Peut-être.
— Tu es…
Il plia son doigt vers le haut, et le plaisir afflua aussitôt, l’inondant de toutes parts.
— … Tellement étroite, tellement chaude.
Une sensation de chaleur l’envahit une fois de plus, faisant sortir tout l’air de ses poumons, la laissant bouche bée, faisant apparaître des couleurs vives derrière ses paupières fermées. Il grommela quelque chose qui n’était pas très cohérent, et glissa un autre doigt. Elle perdit pied. Son corps ne lui appartenait plus, il n’était plus fait que de pics hauts et brillants et de vallées luxuriantes. Elle se retrouva soudain lourde et molle, et elle ne savait pas combien de temps s’écoula avant qu’elle soit capable de poser la main sur son front, le poussant délicatement pour qu’il s’arrête. Il lui jeta un regard noir mais obéit, et Olive l’attira vers elle – parce qu’il semblait sur le point de recommencer, et parce qu’elle voulait le sentir tout près. Peut-être qu’il pensa la même chose : il vint au-dessus d’elle, se soutenant sur ses avant-bras ; son torse faisant pression sur ses seins, et sa cuisse imposante fermement logée entre ses jambes.
Elle portait toujours ses stupides chaussettes montantes, et bon sang, Adam pensait probablement que c’était le coup le plus foireux qu’il ait
— Est-ce que je peux te baiser ?
Il posa la question, puis l’embrassa, pas gêné le moins du monde par l’endroit où sa bouche se trouvait quelques secondes plus tôt. Elle se demanda si elle devrait être rebutée, mais elle tremblait encore de plaisir en repensant à ce qu’il venait de faire. Elle n’arrivait pas à s’en soucier, et c’était agréable de l’embrasser. Tellement agréable.
— Hmm.
Elle posa les mains sur ses joues, et commença à tracer le contour de ses fossettes avec ses pouces. Elles étaient rouges, chaudes.
— Quoi ?
— Est-ce que je peux te baiser ? répéta-t-il avant de l’embrasser dans le cou. S’il te plaît ?
Il le lui murmura dans le creux de l’oreille, et… ce n’était pas comme si elle pouvait dire « non ». Ou en avait envie. Elle hocha la tête pour signifier son accord et tendit la main vers sa bite, mais il la devança et baissa son pantalon, refermant son poing autour. Il était bien monté. Plus qu’elle l’aurait cru. Elle sentit son cœur battre à toute vitesse contre sa poitrine lorsqu’il s’aligna et la pénétra…
Olive était plus dilatée mais toujours pas assez large.
— Ah.
Ça ne fit pas vraiment mal, mais ce fut presque trop. Pas évident, en tout cas. Et pourtant, cette sensation, la pression qu’il exerçait, était pleine de promesses.
— Elle est vraiment grosse.
Il poussa un grognement dans son cou. Tout son corps semblait vibrer.
— Tu peux encaisser.
— Je… peux, confirma-t-elle le souffle coupé.
Les femmes donnaient naissance, après tout. Sauf qu’il n’était pas à l’intérieur, pas tout à fait. Pas même à moitié. Et il n’y avait déjà plus de place.
Olive le regarda. Ses yeux étaient fermés, sa mâchoire crispée.
— Et si c’est trop ?
Adam approcha ses lèvres de son oreille.
— Dans ce cas…
Il poussa doucement, et c’était peut-être trop, mais le frottement était délicieux.
— Dans ce cas, je te baiserai comme ça.
Elle ferma les yeux lorsqu’il atteignit une zone sensible et gémit.
— Bon sang, Olive.
Olive sentait son corps palpiter.
— Y a-t-il quelque chose que je devrais…
— Juste…
Il lui embrassa le cou. Leur souffle saccadé résonnait bruyamment dans la pièce silencieuse.
— Tiens-toi tranquille pendant un moment. Je ne veux pas jouir trop vite.
Olive bougea les hanches, et il atteignit de nouveau cette fameuse zone.
Ses cuisses se mirent à trembler, et elle essaya de les écarter davantage pour l’accueillir.
— Peut-être que tu devrais.
— Je devrais ?
Elle acquiesça. Ils étaient trop hébétés pour s’embrasser à ce stade, mais ses lèvres étaient chaudes et douces lorsqu’elles effleurèrent les siennes.
— Oui.
— En toi ?
— Si tu…
Adam agrippa fermement sa jambe.
— Si tu veux.
— Tu es tellement parfaite, tu me rends dingue.
Elle s’ouvrit soudain à lui. Il s’enfonça profondément et la tension aurait dû la briser, mais lui donna seulement l’impression d’être comblée, scellée, parfaite.
Ils gémirent tous les deux. Olive leva une main tremblante, la posant sur la nuque transpirante d’Adam.
— Eh.
Elle lui sourit.
Il lui rendit son sourire, rien qu’un peu.
— Eh.
Ses yeux étaient opaques, tel un vitrail. Il bougeait doucement en elle, et elle son corps entier se serra autour de lui, jusqu’à ce qu’elle sente son
membre frémir et palpiter en elle, comme un tambour. Elle laissa sa tête tomber sur l’oreiller, et quelqu’un poussa un grognement, un son guttural incontrôlable.
Puis Adam sortit, la pénétra de nouveau, et la règle « pas de sexe » fut définitivement enterrée. En l’espace de quelques secondes, ses mouvements hésitants jusqu’ici devinrent rapides et erratiques. Il glissa la main dans le bas de son dos, la soulevant vers lui tandis qu’il la pilonnait, encore et encore, plongeant en elle, contre elle, forçant le plaisir à vibrer jusque dans sa colonne vertébrale.
— Ça va ? lui murmura-t-il à l’oreille, sans vraiment parvenir à s’arrêter.
Olive ne pouvait pas répondre. Elle avait le souffle coupé et ses ongles s’enfonçaient désespérément dans les draps. La pression montait de nouveau en elle, puissante et dévorante.
— Il faut me dire, si tu n’aimes pas ça, dit-il d’une voix rauque. Ce que je fais.
Il était impatient, un peu maladroit, perdant le contrôle et glissant hors d’elle, la pénétrant de nouveau. Il était déconcentré, mais elle aussi. Elle était submergée par le plaisir stupéfiant et par ses va-et-vient. Tout semblait si naturel.
— Je…
— Olive, il faut que tu…
Il s’arrêta en poussant un grognement, parce qu’elle avait soulevé les hanches et s’était contractée autour de lui. L’agrippant plus fortement, l’aspirant plus profondément.
— J’aime ça.
Elle leva la main pour enfoncer ses doigts dans ses cheveux. Pour croiser son regard, s’assurer qu’il faisait attention lorsqu’elle dit :
— J’ adore ça, Adam.
Il perdit le contrôle. Il émit un son bestial et frissonna, respirant fort et marmonnant n’importe quoi contre sa peau – à quel point elle était parfaite, à quel point elle était belle, à quel point il en avait eu envie, à quel point il ne se lasserait jamais, il ne pourrait jamais se lasser d’elle. Olive sentit son orgasme monter, un plaisir aveuglant, dévorant, tandis qu’il tremblait au-dessus d’elle.
Elle sourit. Et quand de nouveaux frissons parcoururent son échine, elle mordit l’épaule d’Adam et se laissa aller.
HYPOTHÈSE : Quand je penserai avoir touché le fond, quelqu’un me tendra une pelle. Ce quelqu’un sera probablement Tom Benton.
Olive s’assoupit après la première fois, et fit de nombreux rêves étranges, sans queue ni tête. Des sushis en forme d’araignées. La première chute de neige à Toronto, durant sa dernière année avec sa mère. Les fossettes d’Adam. Le rictus de Tom Benton lorsqu’il avait craché les mots « histoire pathétique tout juste bonne à faire pleurer dans les chaumières ».
De nouveau Adam, sérieux cette fois, prononçant son nom à sa manière si particulière.
Puis elle sentit le matelas bouger, et entendit qu’on posait quelque chose sur la table de chevet. Elle cligna lentement des yeux pour se réveiller, désorientée par la faible luminosité. Adam était assis au bord du lit, il passa une mèche de ses cheveux derrière son oreille.
— Salut, dit-elle en souriant.
— Salut.
Elle posa la main sur sa cuisse à travers le pantalon qu’il n’avait jamais réussi à retirer complètement. Il était toujours aussi chaud, toujours aussi solide. Toujours là.
— J’ai dormi combien de temps ?
— Pas longtemps. Peut-être trente minutes.
— Hmm.
Elle s’étira puis remarqua le verre d’eau fraîche sur la table de nuit.
— C’est pour moi ?
Il hocha la tête, le lui tendit, et elle s’appuya sur un coude pour boire, souriant en guise de remerciement. Elle remarqua que son regard s’attardait sur ses seins, toujours sensibles et endoloris, puis sur ses propres mains.
Oh. Peut-être que, maintenant qu’ils avaient couché ensemble – une partie de jambes en l’air réussie, se dit Olive, une partie de jambes en l’air
géniale, même si comment savoir pour Adam ? – il avait besoin de garder ses distances. Peut-être qu’il n’aimait pas partager son oreiller.
Elle lui rendit le verre vide et se redressa.
— Je devrais aller dans mon lit.
Il secoua la tête avec une intensité suggérant qu’il refusait qu’elle aille où que ce soit, jamais. Il serra sa taille, comme pour l’attacher à lui.
Olive ne s’en formalisa pas.
— Tu es sûr ? Je me soupçonne d’être une voleuse de couverture.
— C’est pas grave. J’ai souvent chaud.
Il écarta une mèche de cheveux du front d’Olive.
— Et selon certains dires, il se pourrait que je ronfle.
Elle s’exclama, faussement indignée.
— Qui a osé ? Dis-moi qui a dit ça et je te vengerai personnellement…
Elle poussa un petit cri quand il plaqua le verre d’eau glacée contre son cou, puis éclata de rire, essayant de se débattre pour le fuir.
— Je suis désolée… Tu ne ronfles pas ! Tu dors comme un prince !
— Absolument.
Il posa le verre sur la table de chevet, apaisé, mais Olive resta roulée en boule, les joues rosies et le souffle court. Il souriait. Avec les fossettes en prime. Le même sourire qu’un peu plus tôt, dans son cou, contre sa peau, celui qui l’avait chatouillée et fait rire aux éclats.
— Je suis désolée pour les chaussettes, au fait, dit-elle en grimaçant. Je sais que c’est un sujet controversé.
Adam regarda ses mollets.
— Les chaussettes sont controversées ?
— Pas les chaussettes en elles-mêmes. Juste les garder pendant l’amour ?
— Vraiment ?
— Carrément. Du moins d’après le numéro de Cosmopolitan qu’on garde chez nous pour écraser les cafards.
Il haussa les épaules, comme un homme qui lisait uniquement des revues universitaires.
— Pourquoi quelqu’un de normal en aurait quoi que ce soit à faire ?
— Peut-être pour éviter de coucher sans le savoir avec des gens aux orteils atroces ou déformés ?
— Tes orteils sont déformés ?
— Ils sont grotesques. Dignes d’un numéro de cirque. Un antidote au sexe. En somme, un contraceptif intégré.
Il soupira, clairement amusé. Il luttait pour renvoyer une image taciturne, maussade et intense, et Olive adorait ça.
— Je t’ai souvent vue en sandales. Qui, d’ailleurs, ne sont pas réglementaires en labo.
— Tu dois faire erreur.
— Vraiment.
— Je n’aime pas ce que vous insinuez, Docteur Carlsen. Je prends les directives de Stanford en matière d’hygiène et de sécurité très au sérieux et… Qu’est-ce que tu…
Il était tellement plus massif qu’elle qu’il réussit à la plaquer au matelas d’une seule main, tandis qu’il luttait de l’autre pour lui enlever ses chaussettes. Et pour une raison étrange, elle adora la moindre seconde de la scène. Elle ne se laissait pas faire, et peut-être qu’il aurait deux ou trois bleus le lendemain, mais quand il parvint enfin à les enlever, Olive s’étouffait de rire. Adam lui caressa révérencieusement les pieds, comme s’ils étaient délicats et parfaitement dessinés au lieu d’appartenir à quelqu’un qui courait deux marathons par an.
— Tu avais raison, dit-il.
Le souffle court, elle le regarda avec curiosité.
— Tes pieds sont plutôt hideux.
— Quoi ? s’exclama-t-elle.
Elle se libéra et le poussa, terminant assise sur lui. Il aurait certainement pu renverser la situation, géant qu’il était. Et pourtant.
— Retire ça.
— C’est toi qui l’as dit en premier.
— Retire ça. Mes pieds sont mignons.
— Dans le genre hideux, peut-être.
— Ça n’existe pas.
Le rire d’Adam était chaud contre la joue d’Olive.
— Il existe probablement un mot allemand pour ça. Mignon, mais exceptionnellement laid.
Elle lui mordit doucement la lèvre et Adam… il sembla perdre sa contenance habituelle. Il la fit basculer pour se retrouver au-dessus d’elle et
transforma la morsure en baiser. Ou Olive s’en chargea peut-être, vu qu’elle lui avait léché la lèvre à l’endroit précis où elle l’avait mordue.
Elle aurait sans doute dû lui dire d’arrêter. Elle était en nage avait sûrement besoin d’une douche si elle voulait respecter une quelconque étiquette sexuelle. Mais il était chaud, fort et absolument rayonnant. Il sentait délicieusement bon, même après tout ce qu’ils avaient fait, et elle se laissa distraire, le serrant contre elle.
— Tu pèses une tonne, lui dit-elle.
Il essaya de se redresser mais elle enroula les jambes autour de sa taille, le retenant tout près. Elle se sentait tellement en sécurité avec lui.
Invincible. Une vraie tueuse. Il la transformait en une femme puissante, féroce, capable de ne faire qu’une bouchée de Tom Benton et du cancer du pancréas.
— Non, j’adore ça. Reste s’il te plaît, ajouta-t-elle avec un sourire radieux.
— Tu es une voleuse de couverture.
Il avait repéré une zone sensible à la base de son cou, une zone qui la faisait soupirer, se cambrer et… se liquéfier. Il s’y attaqua comme si plus rien d’autre ne comptait pour lui. Il l’embrassait de manière à la fois délicate et débridée. Et elle se demanda pourquoi elle avait un jour pensé que s’embrasser pouvait être ennuyeux et sans intérêt.
— Je devrais me doucher, dit-elle, mais sans faire le moindre mouvement.
Il glissa vers le bas, de quelques centimètres à peine, juste assez pour assez pour être distrait par sa clavicule, puis par la courbe de ses seins.
— Adam.
Il l’ignora et traça du doigt le contour de sa hanche, de ses côtes, de son ventre musclé. Il embrassa la moindre de ses taches de rousseur, comme pour les garder en mémoire, et elles étaient tellement nombreuses.
— Je suis toute collante, Adam.
Elle se tortilla.
Pour seule réponse, il posa la main sur son cul.
— Chut. Je me charge de faire ta toilette.
Il glissa un doigt en elle et elle haleta, parce que… Oh bon sang. Oh. Oh bon sang. Elle entendit les bruits humides, mélange de sa cyprine et de son
sperme, et il aurait dû être dégoûté, et elle aurait dû l’être aussi… et pourtant…
Elle ne l’était pas. Il grognait, comme si la satisfaction de l’avoir souillée, de savoir qu’elle l’avait laissé faire, était grisante. Olive ferma les yeux et se laissa aller, le sentant lécher la peau entre sa cuisse et son abdomen. Elle entendit des gémissements et des halètements sans prendre conscience qu’ils émanaient d’elle. Elle passa une main dans ses cheveux pour le presser plus fermement contre elle. Elle était assurément propre lorsqu’elle jouit. Les lentes contractions s’amplifièrent en immenses vagues et firent trembler ses cuisses. Ce fut à cet instant qu’il lui demanda : — Je peux te baiser encore une fois ?
Elle le regarda, rougissante, étourdie par son orgasme, et se mordit la lèvre. Elle en avait envie. Elle avait vraiment envie de le sentir au-dessus d’elle, en elle, de se sentir son poids et de le serrer contre elle. Elle voulait ce sentiment de sécurité, l’impression d’avoir enfin trouvé sa place.
— J’en ai envie.
Elle posa la main sur son bras, celui sur lequel il s’appuyait.
— Seulement… j’ai un peu mal, et je…
Il regretta aussitôt d’avoir posé la question. Elle le comprit quand elle le vit se figer puis se redresser, pour ne pas la brusquer, pour lui donner l’espace dont elle n’avait en fait pas besoin.
— Non, reprit-elle, paniquée. Ce n’est pas ce que…
— Eh.
Il remarqua son agitation et se pencha pour l’embrasser.
— J’ai envie de…
— Olive.
Il se lova contre elle. Sa bite lui effleura le bas du dos, mais il se décala aussitôt.
— Tu as raison. Dormons un peu.
— Quoi ? Non, protesta-t-elle en se redressant, les sourcils froncés. Je ne veux pas dormir.
Il luttait intérieurement, elle le voyait bien. Il essayait de cacher son érection. Il essayait de ne pas la regarder.
— Ton vol a atterri très tôt ce matin. Tu es sûrement jetlag…
— Mais nous n’avons qu’une seule nuit.
Une seule nuit. Une seule nuit accordée à Olive pour faire taire le monde extérieur. Pour éviter de penser à Tom, et à ce qui s’était passé plus tôt ce jour-là, et à la mystérieuse femme dont Adam était amoureux. Une seule nuit pour oublier que, quels que soient les sentiments qu’elle nourrissait pour lui, ils n’étaient pas réciproques.
— Eh, reprit-il en lui caressant les cheveux. Tu ne me dois rien.
Dormons un peu et…
— Nous n’avons qu’une seule nuit.
Déterminée, elle posa la main sur son torse et se mit sur lui à califourchon. Le coton de son pantalon était doux contre sa peau.
— Je veux la nuit entière.
Elle lui sourit, posant son front contre le sien, ses cheveux formant un rideau entre eux et le monde extérieur. Un sanctuaire. Il la prit par la taille comme s’il ne pouvait pas s’en empêcher, l’attirant contre lui, et oh, ils allaient si bien ensemble.
— Allez, Adam. Je sais que tu es vieux, mais tu ne peux pas dormir tout de suite.
— Je…
Il oublia ce qu’il était sur le point de dire dès qu’elle glissa la main dans son pantalon. Il ferma les yeux, expira profondément, et… oui. Bien.
— Olive.
— Oui ?
Elle continua à glisser le long de son corps. Tout en tirant sur son pantalon. Il essaya mollement de l’arrêter, mais il perdit toute maîtrise et la laissa lui retirer ses vêtements. Elle tira ses cheveux en arrière et s’assit entre ses cuisses.
Adam essaya de détourner le regard et échoua lamentablement.
— Tu es tellement belle.
Il avait murmuré ces mots à voix basse, comme s’ils lui avaient échappé. Libres et spontanés, comme tout le reste.
— Je n’ai jamais fait ça, confessa-t-elle.
Elle n’était pas intimidée, sans doute parce que c’était Adam.
— Non. Viens par ici.
— Donc ça ne sera sans doute pas terrible.
— Tu… Olive. Tu n’as pas à faire ça. Tu ne devrais pas.
— C’est noté.
Elle déposa un baiser sur sa hanche, et il grogna comme si elle avait fait quelque chose de spécial. Comme si c’était le septième ciel.
— Mais si tu as des envies particulières.
— Olive. Je vais…
Un grognement. Il allait grogner, un grondement s’élevant du plus profond de sa poitrine. Elle huma son aine et vit sa queue tressaillir.
— J’adore ton odeur.
— Olive.
Lentement, précisément, elle serra la base de son érection et l’étudia attentivement. Le gland brillait déjà, et… elle n’y connaissait pas grand-chose, mais il semblait sur le point de jouir. Il était très dur et elle voyait son torse se soulever, ses lèvres s’entrouvrir et sa peau rougir. Il donnait vraiment l’impression d’être au bord de l’orgasme, ce qui était… tant mieux. Mais Olive voulait aussi prendre son temps avec lui. Elle voulait tellement de temps avec Adam.
— Quelqu’un d’autre t’a déjà fait ça ? N’est-ce pas ?
Il hocha la tête, comme elle s’y attendait. Il ferma le poing sur les draps, tremblant légèrement.
— Bien. Donc tu pourras me dire si je fais n’importe quoi.
Elle prononça le dernier mot contre sa queue, et on aurait dit qu’ils oscillaient, qu’ils vibraient à basse fréquence dans une bulle qui explosa quand elle le toucha. Avant d’entrouvrir les lèvres, elle le regarda, lui sourit, et ça sembla le mettre en transe. Il se cambra. Il poussa grogna, et lui ordonna à voix basse de lui laisser un moment, par pitié, d’y aller doucement, de ne pas le laisser jouir. Et Olive se demanda s’il éprouvait le même plaisir liquide et brûlant qu’elle avait ressenti un peu plus tôt.
Il était évident qu’elle n’avait jamais fait ça de sa vie. Et pourtant ça semblait l’exciter au plus haut point. Il ne pouvait clairement pas s’en empêcher… Il s’enfonça en elle, posa la main sur sa tête jusqu’à ce que sa gorge soit bien serrée autour de lui. Il grognait, parlait, croisait son regard, comme s’il était fasciné par sa façon de le contempler. Il murmurait d’une voix rauque, marmonnant. « Olive, oui… », « Lèche-la… », « Prends-la…
plus profond. Fais-moi jouir. » Elle entendait des éloges et des mots doux sortir de sa bouche… À quel point elle était douée, adorable, parfaite ; des obscénités sur ses lèvres, sur son corps et ses yeux, et peut-être qu’elle aurait été embarrassée si son cerveau n’avait pas été inondé d’un plaisir intense. Ça paraissait naturel, qu’Adam réclame ce qu’il voulait. Qu’elle le lui donne.
— Je peux… ?
Olive mordilla son gland et il poussa un grognement.
— Dans ta bouche.
Elle se contenta de sourire, et son plaisir lui fit l’effet d’une bombe, explosant et déferlant dans l’ensemble de son corps. Exactement ce qu’Olive avait ressenti auparavant, un plaisir incandescent à la frontière de la douleur. Elle le suçait toujours doucement quand il reprit conscience et lui caressa la joue.
— Les trucs que j’ai envie de te faire. Tu n’as pas idée.
— Peut-être que si, dit-elle en se léchant les lèvres. En partie, du moins.
Il caressa la commissure de ses lèvres, les yeux brillants, et Olive se demanda comment elle pourrait jamais se lasser de lui… surtout en seulement quelques heures.
— J’en doute.
Elle se pencha, dissimulant un sourire.
— Tu peux, tu sais, ajouta-t-elle.
Elle mordilla son ventre et leva les yeux vers lui.
— Me les faire.
Elle souriait toujours quand il l’attira contre lui, et pendant quelques minutes ils réussirent à dormir.
C’était vraiment une belle chambre d’hôtel. Les grandes fenêtres, surtout. Et la vue de Boston une fois la nuit tombée, la circulation, les nuages et le sentiment que quelque chose se passait là dehors, quelque chose auquel elle n’avait pas besoin de prendre part parce qu’elle était là.
Avec Adam.
— C’est en quelle langue ? demanda-t-elle soudain.
Il ne pouvait pas vraiment voir son visage, pas avec sa tête logée sous son menton, il continua donc à dessiner du bout des doigts sur sa hanche.
— Quoi ?
— Le livre que tu lis. Avec le tigre sur la couverture. En allemand ?
— En néerlandais.
Elle sentait sa voix vibrer contre sa poitrine.
— C’est un manuel de taxidermie ?
Il lui pinça la hanche, légèrement, et elle gloussa.
— C’était dur à apprendre ? Le néerlandais, je veux dire.
Il huma ses cheveux, réfléchissant un instant.
— Je ne sais pas trop. Je l’ai toujours parlé.
— C’était bizarre ? De grandir en étant bilingue ?
— Pas vraiment. Je pensais surtout en néerlandais jusqu’à ce qu’on emménage ici.
— Quel âge tu avais ?
— Hmm. Neuf ans ?
Ça la fit sourire, d’imaginer Adam enfant.
— Tu parlais néerlandais avec tes parents ?
— Non, répondit-il, marquant un temps d’arrêt. Surtout avec les filles au pair. Il y en a eu un paquet.
Olive se redressa pour le regarder, appuyant le menton sur ses mains et les mains sur son torse. Elle l’observa, savourant le jeu des lumières de la ville sur son visage. Il avait toujours été beau, mais désormais, à l’heure du crime, il était à couper le souffle.
— Tes parents étaient très occupés ?
Il soupira.
— Ils se consacraient entièrement à leur travail. Pas très doués pour trouver du temps libre.
Elle fredonna doucement, conjurant une image mentale : Adam âgé de cinq ans montrant un dessin de bonhomme à des parents grands, distraits, vêtus de costumes sombres et entourés d’agents secrets qui parlaient dans leur micro-casque. Elle ne connaissait rien aux diplomates.
— Tu as eu une enfance heureuse ?
— C’est… compliqué. C’était un peu un cas d’école. Fils unique de parents financièrement riches mais émotionnellement pauvres. Je pouvais faire tout ce que je voulais mais je n’avais personne avec qui le faire.
Ça semblait si triste. Olive et sa mère avaient toujours eu très peu, mais elle ne s’était jamais sentie seule. Jusqu’au cancer.
— En dehors d’Holden ?
Il sourit.
— En dehors d’Holden, mais c’était plus tard. Je crois que j’avais déjà pris mes habitudes à l’époque. J’avais appris à m’amuser avec… des trucs.
Des passions. Des activités. L’école. Et quand j’étais censé être avec des gens, j’étais… hostile et inaccessible.
Elle roula des yeux et le mordilla, le faisant ricaner.
— Je suis devenu comme mes parents, dit-il, songeur. Exclusivement dévoué à mon travail.
— C’est faux. Tu es très doué pour consacrer du temps aux autres. À
moi.
Elle sourit, mais il détourna le regard comme s’il était embarrassé, donc elle décida de changer de sujet.
— La seule chose que je sais dire en néerlandais, c’est ik hou van jou.
Sa prononciation avait dû être catastrophique, parce qu’Adam mit un moment à comprendre. Puis il percuta et écarquilla les yeux.
— Ma coloc à la fac avait un poster avec « Je t’aime » écrit dans toutes les langues, expliqua Olive. Juste en face de mon lit. Le premier truc que je voyais le matin au réveil.
— Et au bout de quatre ans tu savais le dire dans chaque langue ?
— À la fin de la première année. Elle a rejoint une sororité en deuxième année, et tant mieux.
Elle baissa les yeux, enfouit son visage contre son torse, puis le regarda de nouveau.
— C’est plutôt bête, quand on y pense.
— Bête ?
— Qui a besoin de savoir dire « Je t’aime » dans toutes les langues ?
Les gens ont à peine besoin de le savoir dans une seule. Parfois même pas.
Elle lui caressa les cheveux.
— « Où sont les toilettes ? » par contre…
Il se lova contre elle, comme si ça l’apaisait.
— Waar is de WC ?
Olive cligna des yeux.
— C’est comme ça qu’on dirait « Où sont les toilettes ? », expliqua-t-il.
— Ouais, je m’en doutais. Seulement… ta voix…
Elle se racla la gorge. Elle se serait bien passée de savoir à quel point il était attirant quand il parlait une autre langue.
— Enfin bref. Ce serait un poster utile, au moins, reprit-elle en lui caressant le front. D’où ça vient ?
— Mon visage ?
— La petite cicatrice. Celle au-dessus de ton sourcil.
— Ah. Juste une bagarre stupide.
— Une bagarre ? gloussa-t-elle. Un de tes étudiants a essayé de te tuer ?
— Non, j’étais gamin. Même si je pourrais tout à fait imaginer mes étudiants verser de l’acétonitrile dans mon café.
— Oh, carrément, acquiesça-t-elle. J’en ai une aussi.
Elle tira ses cheveux et lui montra la petite ligne en forme de demi-lune près de sa tempe.
— Je sais.
— Tu sais ? Pour ma cicatrice ?
Il hocha la tête.
— Quand l’as-tu remarquée ? Elle est vraiment discrète.
Il haussa les épaules et commença à en tracer le contour avec son pouce.
— D’où vient-elle ?
— Je ne m’en souviens pas. Mais ma mère disait que quand j’avais quatre ans, il y a eu cette énorme tempête à Toronto. Les chutes de neige s’accumulaient, les plus intenses depuis cinquante ans, tu vois le topo. Tout le monde savait que ça allait arriver, et elle m’avait préparée pendant des jours, en me disant que nous pourrions finir coincées à la maison pendant quelque temps. J’étais tellement excitée que j’ai couru à l’extérieur et j’ai plongé tête la première dans la neige… sauf que je l’ai fait à peine une demi-heure après le début de la tempête, et je me suis cogné la tête contre une pierre.
Elle rit doucement, et Adam l’imita. C’était une des anecdotes préférées de sa mère. Et à présent, Olive était la seule personne à pouvoir la raconter.
Elle vivait en elle, et en personne d’autre.
— La neige me manque. La Californie est magnifique, et je déteste le froid. Mais la neige me manque vraiment.
Il continuait à caresser la cicatrice, un vague sourire aux lèvres. Puis, après un moment de silence, il dit :
— Il y aura de la neige à Boston. L’an prochain.
Le cœur d’Olive tambourinait dans sa poitrine.
— Ouais.
Sauf qu’elle n’irait pas à Boston, plus maintenant. Elle devrait trouver un autre labo. Voire abandonner cette idée.
La main d’Adam se déplaça jusqu’à son cou, se refermant délicatement autour de sa nuque.
— Il y a de chouettes randonnées à faire, là où Holden et moi avons passé notre doctorat.
Il hésita avant d’ajouter :
— J’adorerais t’y emmener.
Elle ferma les yeux, et l’espace d’un instant, elle imagina la scène. Le noir des cheveux d’Adam contre le blanc de la neige et le vert intense des arbres. Ses bottes s’enfonçant dans le sol. L’air froid pénétrant dans ses poumons, et une main chaude serrant la sienne. Elle arrivait presque à voir les flocons, voletant derrière ses paupières. Le bonheur.
— Tu seras en Californie, cela dit, dit-elle l’air de rien.
Un blanc. Trop long.
Olive ouvrit les yeux.
— Adam ?
Il eut l’air de choisir soigneusement ses mots.
— Il y a une chance pour que je déménage à Boston.
Elle cligna des yeux, incrédule. Déménager ? Il allait déménager ?
— Quoi ?
Non. Qu’est-ce qu’il racontait ? Adam n’allait pas quitter Stanford, si ?
Il n’avait jamais eu l’intention de… le risque qu’il démissionne n’avait jamais été réel. Si ?
Sauf qu’il n’avait jamais dit une telle chose. Olive repensa à leurs conversations, et… il s’était plaint que le département bloque ses fonds de recherche, qu’ils le soupçonnent d’être sur le point de partir, que les gens aient tiré des conclusions à cause de sa collaboration avec Tom, mais… il n’avait jamais dit qu’ils se trompaient. Il avait dit que les fonds gelés avaient été réservés… pour l’année en cours. Voilà pourquoi il cherchait à les débloquer le plus tôt possible.
— Harvard, souffla-t-elle, se sentant incroyablement stupide. Tu déménages à Harvard.
— Rien n’est encore décidé.
La main d’Adam était toujours posée sur sa nuque, son pouce se promenant d’avant en arrière sur sa gorge.
— On m’a proposé un entretien, mais on ne m’a pas fait d’offre officielle.
— Quand ? Quand passes-tu un entretien ? demanda-t-elle, mais elle n’avait pas vraiment besoin de connaître la réponse.
Tout devenait clair.
— Demain. Tu ne rentres pas.
Il n’avait jamais dit ça. Il lui avait seulement dit qu’il partirait avant la fin de la conférence. Oh bon sang. Quelle idiote, Olive. Quelle idiote.
— Tu vas à Harvard. Passer des entretiens pour le restant de la semaine.
— C’était la seule façon d’éviter d’éveiller encore plus les soupçons, expliqua-t-il. La conférence faisait une bonne couverture.
Elle hocha la tête. Ce n’était pas bien… c’était parfait. Et bon sang, qu’est-ce qu’elle se sentait nauséeuse. Et faible, même allongée.
— Ils vont t’offrir le poste, murmura-t-elle, même s’il devait déjà le savoir.
Il était Adam Carlsen, après tout. Et on le recevait en entretien. Ils lui faisaient la cour.
— C’est pas sûr encore.
Ça l’était. Bien sûr que ça l’était.
— Pourquoi Harvard ? balbutia-t-elle. Pourquoi… Pourquoi veux-tu quitter Stanford ?
Sa voix tremblait légèrement, même si elle faisait de son mieux pour avoir l’air calme.
— Mes parents vivent sur la côte est, et même si j’ai mes griefs, ils vont avoir besoin de moi tôt ou tard.
Il s’interrompit, mais Olive voyait bien qu’il n’avait pas terminé. Elle se prépara mentalement.
— La raison principale, c’est Tom. Et la bourse. Je veux orienter mes recherches vers un travail plus similaire, mais ce ne sera possible que si nous pouvons afficher de bons résultats. Être dans le même département nous rendrait infiniment plus productifs. D’un point de vue pro, la question ne se pose même pas.
Elle s’y était préparée, mais avait quand même l’impression d’avoir pris un coup de poing dans le sternum qui lui coupait le souffle, lui retournait l’estomac et lui comprimait le cœur. Tom. Ça concernait Tom.
— Bien sûr, murmura-t-elle, ça rendait sa voix plus assurée. C’est logique.
— Et je pourrais t’aider à t’acclimater, en plus, suggéra-t-il, d’une voix nettement plus timide. Si tu veux. À Boston. Au labo de Tom. Te faire visiter le coin, si tu… si tu te sens seule. T’acheter des machins parfum citrouille.
Elle ne pouvait pas répondre. Vraiment… elle ne pouvait pas. Donc elle baissa la tête quelques instants, s’ordonna de la boucler, puis la releva pour lui sourire.
Elle pouvait y arriver. Elle allait y arriver.
— À quelle heure tu pars demain ?
Il allait sans doute se rendre dans un autre hôtel, plus proche du campus d’Harvard.
— Tôt.
— D’accord.
Elle se pencha et enfouit son visage contre son cou. Ils n’allaient pas dormir, pas une seule seconde. Ce serait un tel gâchis.
— Tu n’es pas obligé de me réveiller, en partant.
— Tu ne comptes pas descendre mes valises au rez-de-chaussée ?
Elle rit et se blottit contre lui. Ça, se dit-elle, ce serait leur nuit parfaite.
Et leur dernière.
HYPOTHÈSE : Un cœur se brise encore plus facilement que la plus faible des liaisons hydrogène.
Ce ne fut pas le soleil déjà haut dans le ciel qui la réveilla, ni le service d’entretien – grâce à Adam, sans doute, et au panneau « Ne pas déranger »
sur la porte. Ce qui tira Olive de son sommeil, même si elle n’avait vraiment, vraiment pas envie d’affronter cette journée, fut le bourdonnement frénétique provenant de la table de nuit.
Elle enfouit sa tête dans l’oreiller, tendit le bras pour atteindre son téléphone, puis le porta à son oreille.
— Oui ? beugla-t-elle, pour se rendre compte qu’il ne s’agissait pas d’un appel, mais d’une très longue série de notifications.
Notamment un mail du Dr Aslan la félicitant pour sa présentation et lui demandant l’enregistrement correspondant, deux messages de Greg (« Tu as la pipette multicanaux ? » « T’inquiète, je l’ai trouvée »), un de Malcolm (« Appelle-moi quand tu verras ce message »), et…
Cent quarante-trois autres d’Anh.
— C’est quoi ce… ?
Elle cligna des yeux, déverrouilla son téléphone et se mit à les faire défiler. Se pourrait-il qu’il s’agisse de cent quarante-trois messages pour lui rappeler de mettre de la crème solaire ?
Anh : Oh
Anh : Mon
Anh : Dieu
Anh : Oh mon Dieu
Anh : Oh mon Dieu oh mon Dieu, BORDEL DE MERDE
Anh : T’es passée où ?
Anh : OLIVE
Anh : OLIVE LOUISE SMITH
Anh : (Je déconne, je sais que t’as pas de deuxième prénom)
Anh : (Mais si t’en avais un ce serait Louise TÊTE À CLAQUES tu sais que j’ai raison)
Anh : Où ES-TU ?!?!?
Anh : Tu rates un truc énorme UN TRUC ÉNORME
Anh : OÙ EST TA PUTAIN DE CHAMBRE JE TE REJOINS
Anh : OLI il faut qu’on parle de ça EN PERSONNE !!!!! 1 !!!!!!
Anh : Tu es MORTE ?
Anh : T’as plutôt intérêt C’EST LA SEULE RAISON POUR LAQUELLE JE TE
PARDONNERAI DE LOUPER ÇA OLI
Anh : OOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOLI
Olive grogna, se frotta les yeux, et décida de sauter les cent vingt-cinq autres messages et d’envoyer à Anh le numéro de sa chambre. Elle se rendit dans la salle de bains et attrapa sa brosse à dents, essayant de ne pas remarquer que l’endroit où s’était trouvée celle d’Adam était désormais vide. Quelle que soit la raison pour laquelle Anh flippait, Olive sentait qu’elle n’allait pas être impressionnée. Jeremy avait dû faire des claquettes à la soirée, ou Chase avait noué une queue de cerise avec sa langue. Sacré divertissement, bien sûr, mais Olive se remettrait de les avoir ratés.
Elle se sécha le visage, se disant qu’elle s’en sortait très bien pour oublier la légère douleur, et la tension qu’elle éprouvait. Son corps semblait vibrer. Et elle avait l’impression que ça n’était pas près de s’arrêter, ni dans deux, dans trois, ou même dans cinq heures. Et elle pouvait toujours sentir le parfum réconfortant d’Adam sur sa peau.
Oui. Elle s’en tirait à merveille.
Quand elle sortit de la salle de bains, quelqu’un s’apprêtait à défoncer la porte. Elle l’ouvrit et trouva Anh et Malcolm, qui l’étreignirent et se mirent à causer si fort et si vite qu’elle arrivait à peine à discerner les mots – même si elle saisit les termes : « changement de paradigme », « bouleversant » et « tournant décisif et historique ».
Ils bavassèrent jusqu’au lit intact d’Olive et s’assirent. Au bout de quelques minutes de propos incohérents, Olive décida d’intervenir et leva les mains.
— Attendez.
Elle avait déjà mal au crâne. Cette journée allait être un cauchemar, pour tant de raisons.
— Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Un truc de dingue, répondit Anh.
— Trop cool, l’interrompit Malcolm. Elle veut dire « trop cool ».
— Où étais-tu, Oli ? Tu as dit que tu allais nous rejoindre.
— Ici. J’étais juste, euh, fatiguée après ma présentation, je me suis endormie et…
— Nul, Oli, très nul, mais je n’ai pas le temps de te passer un savon pour ta nullité parce qu’il faut que je te raconte ce qui s’est passé hier soir…
— C’est moi qui devrais lui dire, intervint Malcolm en adressant un regard noir à Anh. Vu que ça me concerne.
— Pas faux, concéda-t-elle avec un grand geste.
Malcolm sourit, ravi, et s’éclaircit la voix.
— Oli, avec qui j’ai envie de coucher depuis plusieurs années ?
— Euh…
Elle se gratta la tempe. De but en blanc, elle aurait pu citer environ trente personnes.
— Victoria Beckham ?
— Non. Enfin, si. Mais non.
— David Beckham ?
— Oui aussi. Mais non.
— L’autre Spice Girl ? Celle avec le survêtement Adidas…
— Non. Bon, si, mais oublie les célébrités, concentre-toi sur des vraies personnes…
— Holden Rodrigues ! révéla Anh avec impatience. Il a branché Rodrigues à la soirée du département. Oli, c’est avec le plus grand regret que je t’informe que tu as été détrônée et que tu n’es plus la présidente du club J’en Pince pour un Prof. Comptes-tu te retirer ou accepter le poste de trésorière ?
Olive cligna des yeux. À plusieurs reprises. Un nombre astronomique de fois. Puis elle s’entendit dire :
— Waouh.
— C’est pas le truc le plus bizarre…
— Le plus cool, Anh, intercéda Malcolm. Le plus cool.
— Les choses peuvent être bizarres d’une façon cool.
— Exact, mais là c’est du 100 % cool, 0 % bizarre…
— Attends une seconde, l’interrompit Olive.
Son mal de crâne s’amplifiait à vitesse grand V.
— Holden ne fait même pas partie du département. Qu’est-ce qu’il faisait à la soirée ?
— Aucune idée, mais tu soulèves un point essentiel, à savoir que vu qu’il est en pharmacologie, on peut faire tout ce qu’on veut sans devoir en parler à qui que ce soit.
Anh pencha la tête.
— Ah bon ?
— Oui. Nous avons vérifié le règlement de Stanford alors qu’on allait acheter des capotes. Des préliminaires, en somme, ajouta-t-il avec un air béat. Pourrai-je de nouveau entrer dans une pharmacie sans avoir la trique ?
Olive s’éclaircit la voix.
— Je suis tellement heureuse pour toi.
Elle l’était vraiment. Même si ça faisait un peu bizarre.
— Comment c’est arrivé ?
— Je lui ai fait du gringue. C’était spectaculaire.
— Il était sans vergogne, Oli. Et spectaculaire. J’ai pris des photos.
Malcolm s’exclama, indigné.
— D’accord, c’est illégal et je pourrais te poursuivre. Mais si je suis beau gosse dessus, envoie-les-moi.
— Compte sur moi, bébé. Maintenant parle-nous du sexe.
Le fait que Malcolm qui, d’habitude, n’était pas avare de détails sur sa vie sexuelle, se contente de fermer les yeux et de sourire en disait long. Anh et Olive échangèrent un regard impressionné.
— Et ce n’est même pas la meilleure partie. Il veut me revoir.
Aujourd’hui. Un rencard. Il a utilisé le mot « rencard » spontanément, ajouta-t-il en se laissant tomber sur le matelas. Il est tellement sexy. Et drôle. Et sympa. Une vraie bête.
Malcolm semblait tellement heureux. Olive ne pouvait pas résister : elle ravala le nœud qui avait élu résidence dans sa gorge durant la nuit précédente et sauta sur le lit à côté de lui, le serrant de toutes ses forces.
Anh suivit et l’imita.
— Je suis tellement heureuse pour toi, Malcolm.
— Pareil.
La voix d’Anh était étouffée par les cheveux de son ami.
— Je suis heureux pour moi, moi aussi. J’espère qu’il est sérieux. Tu sais quand j’ai dit que je visais la médaille d’or ? Eh bien, Holden est du
— Tu devrais demander à Carlsen, Oli, suggéra Anh. S’il connaît les intentions d’Holden.
Elle n’allait probablement pas en avoir l’occasion de sitôt.
— Je le ferai.
Malcolm bougea un peu et se tourna vers Olive.
— Tu t’es vraiment endormie hier soir ? Ou toi et Carlsen étiez en train de fêter ça de façon inavouable ?
— Fêter ça ?
— J’ai raconté à Holden que je m’inquiétais pour toi, et il a dit que vous étiez probablement en train de fêter ça. Quelque chose à propos des fonds de recherche de Carlsen qui ont été débloqués ? Au fait, tu ne m’as jamais dit que Carlsen et Holden étaient meilleurs amis – c’est pourtant le genre d’information que tu voudrais partager avec ton coloc, le fondateur et membre le plus fervent du fan-club d’Holden Rodrigues…
— Attends, reprit Olive en se redressant, les yeux écarquillés. Les fonds qui ont été débloqués sont-ils… ceux qui étaient gelés ? Ceux que Stanford retenait ?
— Peut-être bien ? Holden a dit un truc au sujet du directeur du département qui se détendait enfin. J’ai essayé de prêter l’oreille, mais parler de Carlsen est un peu un tue-l’amour… sans vouloir te vexer. En plus, je n’arrêtais pas de me perdre dans les yeux d’Holden.
— Et dans son cul, ajouta Anh.
— Et dans son cul, confirma Malcolm en soupirant d’aise. Un si joli cul. Il a des petites fossettes au-dessus.
— Oh mon Dieu, Jeremy aussi ! J’ai envie de les mordre.
— C’est pas trop mignon ?
Olive ne les écoutait plus. Elle se leva et attrapa son téléphone pour y lire la date.
Le 29 septembre.
On était le 29 septembre.
Elle l’avait su, bien sûr. Elle l’avait su plus d’un mois avant que ce jour arrive, mais durant la semaine passée, elle avait été trop occupée à se tracasser pour sa présentation pour penser à quoi que ce soit d’autre, et Adam ne le lui avait pas rappelé. Avec tout ce qui s’était passé pendant les dernières vingt-quatre heures, ça n’avait rien d’étonnant qu’il ait oublié de mentionner que ses fonds avaient été débloqués. Mais quand même. Les conséquences étaient…
Elle ferma les yeux, aussi fort que possible, tandis qu’en fond, les babillages surexcités d’Anh et Malcolm montaient en volume. Quand elle les rouvrit, son téléphone s’éclaira avec une nouvelle notification. D’Adam.
Adam : Je passe des entretiens jusqu’à 16 h 30, mais je suis libre ce soir.
Voudrais-tu aller dîner ? Il y a plusieurs bons restaurants près du campus (quoique manquant cruellement de tapis roulants). Si tu n’es pas occupée, je pourrais te faire faire le tour du propriétaire, voire du labo de Tom.
Adam : Aucune pression, bien sûr.
Il était presque 14 heures. Olive avait l’impression que ses os pesaient deux fois plus lourd que la veille. Elle prit une profonde inspiration, se redressa, et commença à taper sa réponse à Adam.
Elle savait ce qu’elle avait à faire.
Elle frappa à sa porte à 17 heures tapantes, et il répondit quelques secondes plus tard, toujours vêtu d’un pantalon de costume et d’une chemise qui avaient dû être sa tenue pour l’entretien et…
Il lui souriait. Pas un de ces trucs à la noix auxquels elle s’était habituée, mais un sourire vrai, sincère. Avec des fossettes, des rides autour des yeux, et un réel plaisir de la voir. Ça lui brisa le cœur en mille morceaux avant même qu’il prenne la parole.
— Olive.
Elle n’avait toujours pas compris pourquoi la façon dont il prononçait son nom était tellement unique. Il y avait quelque chose d’enfoui derrière, quelque chose qui ne remontait pas à la surface. Une impression de possibilités. De profondeur. Olive se demandait si c’était réel, si elle hallucinait, s’il en était conscient. Olive se demandait beaucoup de choses, puis s’ordonna d’arrêter. Ça n’avait plus la moindre importance, désormais.
— Entre.
L’hôtel était encore plus chic que le précédent, et Olive leva les yeux au ciel, se demandant pourquoi les gens éprouvaient le besoin de perdre des milliers de dollars dans des logements pour Adam Carlsen, quand il prêtait à peine attention à ce qui l’entourait. Ils auraient dû se contenter de lui donner un lit de camp et de verser l’argent à des causes dignes de ce nom.
Les baleines en danger. Le psoriasis. Olive.
— J’ai apporté ça… Je suppose que c’est à toi.
Elle fit deux pas vers lui et lui tendit un chargeur de téléphone, laissant pendre le bout du câble, s’assurant qu’Adam n’aurait pas besoin de la toucher.
— En effet. Merci.
— Il était derrière la lampe de chevet, c’est sûrement pour ça que tu l’as oublié, ajouta-t-elle, les lèvres serrées. Ou peut-être que c’est ton grand âge.
Peut-être que la démence a déjà frappé. Toutes ces substances amyloïdes.
Il la foudroya du regard, et elle essaya de ne pas sourire, mais elle le faisait déjà, et lui levait les yeux au ciel et la traitait de petite maligne, et…
Ils en étaient là. Encore et toujours. Bordel de merde.
Elle laissa son regard s’égarer, parce que… non. Plus maintenant.
— Comment s’est passé l’entretien ?
— Bien. Ce n’est que le premier jour, cela dit.
— Sur combien ?
— Trop, soupira-t-il. J’ai des réunions prévues avec Tom, aussi.
Tom. Eh oui. Bien sûr. Bien sûr…Voilà pourquoi elle était ici. Pour lui expliquer que…
— Merci d’être venue, dit-il d’une voix douce et sérieuse.
Comme si en sautant dans un train et en acceptant de le voir, Olive lui avait fait un plaisir immense.
— Je me disais que tu serais occupée avec tes amis.
Elle secoua la tête.
— Non. Anh est sortie avec Jeremy.
— Je suis désolé, reprit-il, l’air sincèrement navré pour elle, et il fallut plusieurs minutes à Olive pour se souvenir de son mensonge, et du fait qu’il la croyait amoureuse de Jeremy.
À peine à quelques semaines plus tôt, mais cela semblait remonter à si longtemps, à l’époque où elle n’arrivait pas à imaginer pire que le fait qu’Adam découvre ses sentiments pour lui. Ça semblait tellement risible après ces derniers jours. Elle aurait vraiment dû cracher le morceau, mais à quoi bon à présent ? Autant laisser Adam croire ce qui lui chantait. Ça lui rendrait plus service que la vérité, après tout.
— Et Malcolm est avec… Holden.
Il hocha la tête, l’air épuisé.
Olive imagina brièvement Holden en train d’écrire à Adam l’équivalent de ce qu’Olive et Anh avaient dû subir durant les deux heures précédentes, et sourit.
— C’est sérieux à quel point ?
— Sérieux ?
— Le truc entre Malcolm et Holden ?
— Ah.
Adam appuya son épaule contre le mur, croisant les bras sur son torse.
— Je pense que ça peut être une très bonne chose. Pour Holden, du moins. Il apprécie vraiment Malcolm.
— Il te l’a dit ?
— Il n’a pas arrêté de le rabâcher, répondit-il en levant les yeux au ciel.
Savais-tu qu’Holden a douze ans en réalité ?
Elle éclata de rire.
— Tout comme Malcolm. Il sort avec plein de types, et d’habitude, il est assez doué pour réfréner ses ardeurs, mais ce truc avec Holden… J’ai mangé un sandwich au déjeuner et il a sorti de nulle part qu’Holden était allergique aux cacahuètes. Il n’y avait même pas de beurre de cacahuètes dans mon sandwich !
— Il n’est pas allergique, il fait semblant parce qu’il n’aime pas les oléagineux, expliqua-t-il en se massant la tempe. Ce matin, je me suis réveillé avec un haïku sur les coudes de Malcolm. Holden l’avait envoyé à 3 heures du matin.
— Il était bien ?
Il lui adressa un regard entendu, et elle rit de plus belle.
— Ils sont…
— Impossibles, conclut Adam en secouant la tête. Mais je pense qu’Holden pourrait en avoir besoin. De quelqu’un à qui il tient, et qui tient à lui aussi.
— Malcolm aussi. Je suis seulement… inquiète qu’il puisse vouloir plus que ce qu’Holden a à offrir ?
— Crois-moi, Holden est tout disposé à faire une déclaration d’impôts commune.
— Bien. Je suis contente.
Elle sourit. Puis son sourire s’évanouit, aussi vite qu’il était venu.
— Les relations à sens unique sont vraiment… pourries.
Je suis bien placée pour le savoir. Et peut-être que toi aussi.
Il avait les yeux rivés sur sa propre main, pensant sans doute à la femme qu’Holden avait mentionnée.
— Oui. C’est vrai.
C’était une drôle de douleur, la jalousie. Déroutante, inhabituelle, pas quelque chose auquel elle était habituée. À moitié déchirant, à moitié déconcertant et vain, tellement différent de la solitude qu’elle avait ressentie depuis ses quinze ans. Sa mère lui manquait tous les jours, mais avec le temps elle avait appris à contenir sa peine et à la transformer en motivation pour son travail. À lui donner un sens. La jalousie, par contre… Le malheur qu’elle entraînait n’apportait rien de bon. Seulement des pensées en boucle, et un pincement dans la poitrine chaque fois que son esprit se tournait vers Adam.
— Il faut que je te demande quelque chose, annonça-t-il.
Son ton grave lui fit lever les yeux.
— Bien sûr.
— Les gens que tu as entendus à la conférence hier…
Elle se raidit.
— Je préférerais éviter…
— Je ne te forcerai pas à faire quoi que ce soit. Mais qui que ce soit, je veux… Je pense que tu devrais envisager de porter plainte.
Oh bon sang. Bon sang. Était-ce une sorte de plaisanterie cruelle ?
— Tu aimes vraiment les plaintes, non ?
Elle rit l’espace d’une seconde, peu convaincue par sa tentative pour faire de l’humour.
— Je suis sérieux, Olive. Et si tu décides que tu veux le faire, je t’aiderai de mon mieux. Je pourrais venir avec toi et parler aux organisateurs de la conférence, ou nous pourrions aller au bureau des plaintes de Stanford…
— Non. Je… Adam, non. Je ne vais pas porter plainte.
Elle se frotta les yeux du bout des doigts, ayant l’impression d’être la victime d’un canular géant. Sauf qu’Adam n’en avait aucune idée. Il cherchait à la protéger, quand tout ce qu’Olive voulait était… le protéger lui.
— J’ai déjà pris ma décision. Ça ferait plus de mal que de bien.
— Je sais pourquoi tu penses ça. Je ressentais la même chose pendant mon doctorat, avec mon mentor. Comme nous tous. Mais il existe des moyens d’agir. Qui que soient ces personnes, elles…
— Adam, je…
Elle se passa une main sur le visage.
— J’ai besoin que tu lâches l’affaire. S’il te plaît.
Il l’observa, restant silencieux pendant plusieurs minutes, puis acquiesça.
— D’accord. Bien sûr.
Il s’écarta du mur et se redressa, clairement mécontent de laisser tomber le sujet mais faisant un effort pour obéir.
— Tu as envie d’aller dîner ? Il y a un restaurant mexicain à côté. Ou des sushis… des vrais sushis. Et un cinéma. Peut-être qu’il diffuse un ou deux films dans lesquels les chevaux ne meurent pas.
— Je n’ai pas… Je n’ai pas faim, en fait.
— Oh.
Son expression était taquine. Affectueuse.
— Je ne savais pas que c’était possible.
— Moi non plus.
Elle gloussa faiblement, puis se força à poursuivre.
— Nous sommes le 29 septembre aujourd’hui.
Un blanc. Adam l’observait, patient et curieux à la fois.
— En effet.
Elle se mordit la lèvre.
— Sais-tu ce que le directeur a décidé pour ton financement ?
— Oh, c’est vrai ! Les fonds vont être débloqués.
Il semblait heureux, ses yeux brillant d’un éclat presque juvénile. Ça lui brisait un peu le cœur.
— Je comptais te le dire ce soir pendant le dîner.
— C’est génial.
Elle réussit à sourire, de manière pitoyable avec son anxiété montante.
— C’est vraiment génial, Adam. Je suis heureuse pour toi.
— C’est sûrement grâce à tes talents avec la crème solaire.
— Ouais.
Son rire était faux.
— Il faudra que je le mette sur mon CV. Fausse petite amie avec beaucoup d’expérience. Maîtrise de Microsoft Office et excellentes capacités en application de crème solaire. Disponible immédiatement, pas sérieux s’abstenir.
— Pas « immédiatement », rectifia-t-il en la regardant curieusement, tendrement. Pas avant un bon moment, je dirais.
Le poids, celui qui lui plombait l’estomac depuis qu’elle avait compris ce qu’elle avait à faire, se mit à peser encore plus lourd. Maintenant…
c’était le moment. La conclusion. L’instant où tout prenait fin. Olive pouvait le faire, et elle le ferait, et les choses iraient pour le mieux.
— Je crois que je devrais l’être.
Elle déglutit et eut l’impression d’avoir de l’acide dans la gorge.
— Disponible.
Elle observa son visage, remarqua sa confusion et serra le poing dans l’ourlet de son pull.
— Nous nous sommes donné une date butoir, Adam. Et nous avons accompli tout ce que nous voulions. Jeremy et Anh sont ensemble pour longtemps… Je doute même qu’ils se souviennent que Jeremy et moi sommes sortis ensemble. Et tes fonds de recherche ont été débloqués, ce qui est fantastique. La vérité, c’est…
Ses yeux picotaient. Elle les ferma, s’efforçant de repousser ses larmes.
Péniblement.
La vérité, Adam, c’est que ton ami, ton collaborateur, une personne que tu aimes vraiment et dont tu es proche est un être horrible et méprisable. Il m’a dit des choses qui pourraient bien être des vérités, ou des mensonges – je ne sais pas. Je n’en suis pas sûre. Je ne suis plus sûre de rien, et j’adorerais te poser la question, tellement. Mais je suis terrifiée à l’idée qu’il puisse avoir raison, et que tu ne me croies pas. Et je suis encore plus terrifiée à l’idée que tu me croies, et que mon récit t’oblige à abandonner quelque chose qui est très important pour toi : ton amitié et ton travail avec lui. Tout me terrifie, comme tu peux le constater. Alors, au lieu de te dire la vérité, je t’en raconterai une autre. Une vérité qui, je crois, vaudra mieux pour toi. Une vérité qui me sortira de l’équation, mais qui rendra son résultat meilleur. Parce que je commence à me demander si c’est ça, être amoureuse. Accepter de se sacrifier pour que l’autre personne reste indemne.
— La vérité, c’est que nous avons réussi. Et qu’il est temps d’en rester là.
Elle pouvait dire à ses lèvres entrouvertes, à son regard confus cherchant le sien, qu’il n’intégrait pas encore ce qu’elle venait de dire.
— Je ne pense que nous n’aurons pas besoin de l’annoncer officiellement à qui que ce soit, poursuivit-elle. Les gens ne nous verront plus ensemble, et au bout d’un moment, ils se diront que… que ça n’a pas marché. Que nous avons rompu. Et peut-être que tu…
C’était la partie la plus difficile. Mais il méritait de l’entendre. Il lui avait dit la même chose, après tout, quand il avait cru qu’elle était amoureuse de Jeremy.
— Je te souhaite le meilleur, Adam. À Harvard, et… avec ta vraie petite amie. Qui que tu choisisses. Je n’arrive pas à imaginer que quelqu’un puisse ne pas partager tes sentiments.
Elle pouvait identifier le moment précis où ça lui était tombé dessus.
Elle pouvait dissocier les émotions en lutte sur son visage – la surprise, la confusion, une pointe d’agacement, une malheureuse seconde de vulnérabilité qui se mêlaient toutes en une expression neutre, vide. Puis elle le vit déglutir.
— C’est d’accord, dit-il. D’accord.
Il avait les yeux rivés sur ses chaussures et ne bougeait pas d’un pouce.
Digérant lentement ses propos.
Olive recula d’un pas et se tortilla nerveusement. Dehors un téléphone sonna, et quelques secondes plus tard, quelqu’un éclata de rire. Des bruits normaux, pendant une journée normale. Rien d’extraordinaire dans tout ça.
— C’est mieux comme ça, assura-t-elle parce que le silence entre eux…
elle ne pouvait pas le supporter. C’est ce que nous avions convenu.
— Comme tu voudras.
Sa voix était éraillée, et il avait l’air… absent. Retranché.
— Ce qui te convient.
— Je ne peux pas te remercier assez pour tout ce que tu as fait pour moi.
Pas seulement au sujet d’Anh. Quand nous nous sommes rencontrés, je me sentais tellement seule, et…
L’espace d’un instant, elle fut incapable de continuer.
— Merci pour tous les trucs à la citrouille, et pour ce western blot, et pour avoir caché tes écureuils empaillés quand je t’ai rendu visite, et…
Elle ne pouvait plus se résoudre à poursuivre, pas sans s’étrangler sur chaque mot. Le picotement dans ses yeux était brûlant à présent. Elle se contenta donc d’un hochement de tête, catégorique, mettant un point à cette phrase en suspens sans conclusion en vue.
Et ça aurait été fini. Ça aurait sûrement été la fin. Ils en seraient restés là, si Olive n’était passée près de lui en regagnant la porte. S’il ne l’avait pas empêchée de partir en posant une main sur son poignet. S’il n’avait pas aussitôt retiré sa main et ne l’avait pas regardée avec une expression stupéfaite, comme s’il était choqué d’avoir osé la toucher sans demander sa permission.
S’il n’avait pas dit : « Olive. Si jamais tu as besoin de quoi que ce soit, n’importe quoi. N’importe quoi. Où que ce soit. Tu peux venir me trouver. »
Sa mâchoire se crispa, comme si d’autres mots arrivaient, des mots qu’il voulait garder à l’intérieur. « Je veux que tu viennes me trouver. »
Elle faillit ne pas se rendre compte qu’elle essuyait une larme sur sa joue d’un revers de la main, ni qu’elle s’approchait de lui. Ce fut son parfum qui lui donna l’alerte – du savon et quelque chose de sombre, subtil, mais ô combien familier. Le cerveau d’Olive avait tout enregistré, tout gardé en mémoire par le biais de ses sens. Son semblant de sourire dans ses yeux, le contact de sa peau sur ses mains, son parfum dans ses narines. Sans réfléchir, elle se mit sur la pointe des pieds, posa les mains sur ses biceps, et l’embrassa délicatement sur la joue. Sa peau était douce, chaude et un peu piquante ; contact inattendu, mais pas gênant pour autant.
Un au revoir approprié, se dit-elle. Acceptable.
Tout comme l’était la main d’Adam quand elle se posa sur ses reins, l’attirant contre son corps, ou sa façon de tourner la tête, jusqu’à ce que ses lèvres cessent d’effleurer sa joue. Elle haleta, soupirant contre la bouche d’Adam, et l’espace de quelques précieuses secondes, elle se contenta de le savourer, le plaisir intense qui passait entre eux tandis qu’ils fermaient les yeux et s’autorisaient juste à être, ici, l’un avec l’autre.
Tranquilles. Immobiles. Un dernier instant.
Puis Olive ouvrit la bouche et tourna la tête, respirant contre ses lèvres.
— Je t’en prie.
Un grondement s’éleva de la poitrine d’Adam. Mais ce fut elle qui anéantit l’espace entre eux, qui approfondit leur baiser, qui enfouit les mains dans ses cheveux. Ce fut elle qui l’attira plus près. Alors il la poussa contre le mur et gémit dans sa bouche.
C’était terrifiant. Terrifiant, à quel point c’était bon. À quel point il serait facile de ne jamais s’arrêter. De laisser le temps s’étirer, d’oublier tout le reste, et de simplement rester comme ça pour toujours.
Mais Adam recula le premier, soutenant son regard tout en essayant de reprendre ses esprits.
— C’était bien, hein ? demanda Olive, avec un petit sourire nostalgique.
Elle-même ne savait pas trop à quoi elle faisait allusion. Peut-être à ses bras autour d’elle. Peut-être à ce dernier baiser. Peut-être à tout le reste. La crème solaire, ses réponses ridicules concernant sa couleur préférée, les conversations tranquilles en pleine nuit… tout avait été tellement divin.
— Ça l’était.
La voix d’Adam semblait trop grave pour lui appartenir. Quand il pressa ses lèvres sur son front une dernière fois, elle sentit son amour pour lui enfler encore plus qu’une rivière en pleine crue.
— Je crois que je ferais mieux d’y aller, lui dit-elle doucement, sans le regarder.
Il la laissa partir sans rien ajouter.
Quand elle entendit le cliquetis de la porte qui se refermait derrière elle, elle eut l’impression de tomber d’une falaise.
HYPOTHÈSE : En plein doute, demander conseil à un ami me sauvera les fesses.
Olive passa le jour suivant à l’hôtel à dormir, pleurer et faire la seule et unique chose qui l’avait mise dans ce bourbier au départ : mentir. Elle raconta à Malcolm et Anh qu’elle passait la journée entière avec des copains de fac, ferma les rideaux occultants, puis se terra au lit. Qui, techniquement, était le lit d’Adam.
Elle essayait de ne pas trop penser à la situation. Quelque chose en elle
– son cœur, vraisemblablement – était en morceaux, pas tant en miettes que proprement coupé en deux, puis encore en deux. Tout ce qu’elle pouvait faire était de s’asseoir au milieu débris et s’apitoyer sur son sort. Dormir la majeure partie de la journée aida énormément à anesthésier la douleur.
L’engourdissement, comme elle s’en rendait rapidement compte, avait du bon.
Elle mentit le jour suivant aussi. Prétextant une requête de dernière minute du Dr Aslan quand ses amis lui demandèrent de les rejoindre à la conférence, ou de partir en excursion dans Boston, puis elle prit une inspiration profonde, revigorante. Elle ouvrit les rideaux, força son sang à circuler de nouveau dans son corps (avec cinquante abdominaux, cinquante sauts, cinquante pompes, même si elle tricha pour le dernier exercice et se mit sur les genoux), puis se doucha et se brossa les dents pour la première fois en trente-six heures.
C’était dur. Voir le tee-shirt « Ninja de la biologie » dans le miroir la fit fondre en larmes, mais elle se rappela qu’elle avait fait un choix. Elle avait décidé de faire passer le bien-être d’Adam avant tout, et elle ne le regrettait pas. Mais qu’elle soit maudite si elle laissait ce connard de Tom Benton s’attribuer le mérite d’un projet sur lequel elle travaillait depuis des années.
Un projet qui signifiait tout pour elle. Peut-être que sa vie n’était rien
d’autre qu’une histoire pathétique tout juste bonne à faire pleurer dans les chaumières, mais c’était sa petite histoire.
Elle avait peut-être le cœur brisé, mais son cerveau était en parfait état de fonctionnement.
Adam avait dit que la raison pour laquelle la plupart des professeurs n’avaient pas pris la peine de répondre, voire de lire son mail, était qu’elle était étudiante. Donc elle suivit son conseil : elle écrivit au Dr Aslan et lui demanda de présenter Olive à tous les chercheurs qu’elle avait contactés précédemment, sans compter les deux personnes qui faisaient partie de sa session et avaient témoigné de l’intérêt pour son travail. Le Dr Aslan était proche de la retraite, et avait plus ou moins abandonné la recherche, mais elle était toujours professeure titulaire à l’université de Stanford. Ça devait bien avoir du poids.
Ensuite, Olive fit des recherches intensives sur Google au sujet de l’éthique, du plagiat et de la propriété intellectuelle. Le sujet était un peu délicat, vu qu’elle avait – assez imprudemment, comme elle s’en rendait compte à présent – décrit tous ses protocoles en détail dans son rapport à Tom. Mais dès qu’elle commença à examiner la situation avec l’esprit plus clair, elle décréta que tout n’était pas aussi désespéré qu’elle l’avait cru au départ. Le compte rendu qu’elle avait rédigé, après tout, était bien structuré et complet. Avec quelques modifications, elle pourrait en faire une publication universitaire. Avec un peu de chance, elle serait rapidement validée par ses pairs, et les conclusions seraient publiées en son nom.
Le point positif était qu’en dépit de toutes ses insultes et remarques désobligeantes, Tom, un des plus grands chercheurs sur le cancer aux États-Unis, avait envisagé de lui voler ses idées. Elle le prenait comme un compliment très, très fourbe.
Elle passa les heures suivantes à éviter soigneusement de penser à Adam et chercha plutôt à identifier d’autres chercheurs qui pourraient la soutenir l’année suivante. Ce n’était pas gagné, mais il fallait qu’elle essaie.
Quand quelqu’un frappa à la porte, c’était déjà le milieu de l’après-midi, et elle avait ajouté trois noms à sa liste. Elle s’habilla rapidement pour répondre, s’attendant au service d’entretien. Quand Anh et Malcolm déboulèrent, elle se maudit de ne jamais regarder dans le judas. Elle méritait vraiment de se faire massacrer par un tueur en série.
— Bon, commença Anh en se jetant sur le lit encore fait d’Olive, tu as deux phrases pour me convaincre de ne pas t’en vouloir. Tu as oublié de demander comment s’est passé l’événement que j’ai organisé.
— Merde ! s’exclama Olive en se couvrant la bouche. Je suis tellement désolée. Comment ça s’est passé ?
— À merveille, répondit Anh, rayonnante. Nous avons eu une énorme audience et tout le monde a adoré. Nous envisageons d’en faire un truc annuel, et de monter une organisation formelle. Le mentorat de pair à pair !
Écoute ça : chaque doctorant se voit assigner deux étudiants. Dès qu’ils commencent leur thèse, ils mentorent chacun deux étudiants. Et dans dix ans, nous prendrons le contrôle de cette foutue planète.
Olive la regardait, bouche bée.
— C’est… tu es incroyable.
— Oui, hein ? Bon, maintenant c’est ton tour de ramper. Eeeet c’est parti.
Olive ouvrit la bouche, mais pendant un long moment, rien n’en sortit vraiment.
— Je n’ai pas vraiment d’excuse. J’étais seulement prise par… un truc que le Dr Aslan m’a demandé de terminer.
— C’est ridicule. Tu es à Boston. Tu devrais être dans un pub irlandais en train de faire semblant d’adorer les Red Sox et de manger des beignets, pas travailler. Pour ta patronne.
— Techniquement, nous sommes ici pour une conférence, fit remarquer Olive.
— Tu parles d’une conférence.
Malcolm rejoignit Anh sur le lit.
— Est-ce qu’on peut sortir tous les trois, s’il te plaît ? implora Anh.
Allons visiter la ville. Manger des glaces. Et boire de la bière.
— Où est Jeremy ?
— En train de présenter son poster. Et je m’ennuie, ajouta Anh avec un sourire malicieux.
Olive n’était pas d’humeur à sortir, à boire de la bière ou à faire du tourisme, mais au bout d’un moment, elle allait devoir apprendre à composer avec son cœur brisé.
Elle sourit et répondit :
— Laisse-moi vérifier mes mails, ensuite on pourra y aller.
Elle avait, inexplicablement, accumulé environ quinze messages durant les trente minutes depuis sa dernière vérification, et un seul d’entre eux était un spam.
Aujourd’hui, 15:11
De : aysegul-aslan@stanford.edu
À : olive-smith@stanford.edu
Objet : Prise de contact pour un projet sur le cancer du pancréas Olive,
Je serais ravie de vous présenter à des collègues et de leur demander des opportunités pour vous dans leurs labos. Je suis d’accord quant au fait qu’ils pourraient se montrer plus accueillants si le mail vient de moi. Envoyez-moi votre liste, je vous prie.
Au fait, vous ne m’avez toujours pas fait parvenir l’enregistrement de votre présentation. Je suis impatiente de l’entendre !
Bien à vous,